Volontourisme : Le bon et le moins bon

22 septembre 2020
Un groupe de bénévoles du Canada et des États-Unis travaillent ensemble pour construire une salle de classe à León, au Nicaragua, en février 2020.
Un groupe de bénévoles du Canada et des États-Unis travaillent ensemble pour construire une salle de classe à León, au Nicaragua, en février 2020, dans le cadre du programme de bénévolat de SchoolBOX. Photo : SchoolBOX
 

Depuis chez elle au Nouveau- Brunswick, Dorma Grant énumère par téléphone la liste des endroits qu’elle a visités en vacances, dont beaucoup depuis qu’elle a pris sa retraite en 2009.

« J’ai parcouru à vélo le chemin de Saint- Jacques de Compostelle en Espagne. J’ai emprunté le chemin de l’Inca au Pérou. Je suis allée avec ma fille au Venezuela... »

Mais des vacances à la plage? Non », grimace-t-elle. « Mes vacances sont généralement plus actives et engagées que ça. »

Actives, oui. Et engagées? À double titre. Mme Grant a énormément voyagé, partout dans le monde. Exception faite de ses vacances à vocation purement récréative, elle fait partie de ces Canadiens, de plus en plus nombreux, qui organisent leurs vacances autour d’activités bénévoles en consacrant leur temps, leur argent et leurs compétences à l’amélioration de la qualité de vie de communautés à l’étranger. Et, lorsque les interdictions de voyager seront levées au sortir de la crise de la COVID-19, il ne fait aucun doute qu’ils recommenceront.

Influencé par les missions de développement durable à l’échelle mondiale promues par des militants comme David Attenborough et Greta Thunberg, le volontourisme, ou tourisme humanitaire, est devenu le créneau touristique connaissant la plus forte croissance au monde avant la pandémie, aux dires de l’organisme Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC). Un rapport publié en 2018, intitulé Voluntourism Best Practices : Promoting Inclusive Community-Based Sustainable Tourism Initiatives (sur le thème des meilleures pratiques en matière de volontourisme et sur la façon de promouvoir des initiatives touristiques durables communautaires et inclusives), estime qu’il y a plus de 10 millions de volontouristes qui, rien qu’en 2016, ont dépensé jusqu’à 3,6 milliards de dollars. À l’intérieur de nos frontières, un récent sondage en ligne réalisé par l’Association nationale des retraités fédéraux a révélé que 48 % des personnes interrogées ont fait du volontourisme et que 75 % d’entre elles ont trouvé l’expérience positive.

Pourtant, même au sein de cette tribu grandissante de grands bienfaiteurs, Mme Grant, qui fait également du bénévolat en qualité de responsable du programme de défense des intérêts de l’Association nationale des retraités fédéraux, fait figure de locomotive. Elle a fait du bénévolat en tant qu’infirmière auxiliaire sur la piste des Annapurnas, en Inde, dans l’Himalaya. Elle a distribué de la nourriture dans les ghettos de la banlieue de Durban, en Afrique du Sud. Elle a participé à un voyage à vélo de 800 kilomètres de Richards Bay au Cap pour collecter des fonds, a passé plusieurs semaines avec la Mission baptiste canadienne en Bolivie et a travaillé dans la clinique d’un petit village proche de Bangalore dans le sud de l’Inde, établie par un médecin indien qu’elle avait rencontré à Miramichi, au Nouveau- Brunswick. Tout a commencé à l’âge de 30 ans quand elle a emmené ses enfants, alors âgés de 8 et 12 ans, au Malawi pendant deux ans, alors qu’elle était enseignante bénévole pour World University Services.

Élevée dans l’église de l’Armée du Salut, axée sur le service, et éprise d’aventure depuis l’enfance, Mme Grant est devenue volontouriste bien avant que ce néologisme ne fasse son apparition dans le Wiktionnaire, voire même avant qu’il ne soit prononcé pour la première fois. Elle estime que son ratio volontourisme/vacances réelles se situe aux alentours de 70:30.


« J’aime l’aventure. J’aime les gens. On m’a appris à ne pas vivre de manière égoïste », explique-t-elle de manière simple et directe, sans doute un vestige de sa carrière d’agent de libération conditionnelle au sein des Services correctionnels du Canada. « Il est très important que nous fassions de notre mieux pour améliorer la vie des gens. »


Faire quelque chose de bien — et quelque chose de pas si bien

Améliorer la vie des gens — c’est une proposition attrayante pour de nombreux Canadiens mus par le désir ardent de partager, sinon leur chance, du moins les compétences qui leur ont permis de créer cette chance. Et, pour l’essentiel, le volontourisme est une activité dont tout le monde ressort gagnant.

Des organisations communautaires comme SchoolBOX, d’Almonte en Ontario, ne comptent pas seulement sur les volontouristes. Ils ont en effet mis tout leur poids dans la balance et ont engagé des fonds pour construire 114 salles de classe au Nicaragua. Là-bas, le gouvernement fournit un enseignant s’il y a une salle de classe, mais de nombreuses communautés pauvres n’ont pas les moyens d’en construire une. Depuis 2008, SchoolBOX a construit des écoles et les a dotées de livres et de fournitures scolaires, en faisant appel à des ouvriers, des architectes, des électriciens et des matériaux nicaraguayens. Ses efforts sont soutenus chaque année par une équipe de 50 à 100 bénévoles, qui récoltent 500 dollars chacun et versent 1 960 dollars pour les repas, l’hébergement, le transport, les activités et les traducteurs. Ils doivent aussi acheter leurs propres billets d’avion. Une fois dans le pays, les bénévoles effectuent des travaux non qualifiés, comme porter des barres d’armature ou passer du temps à lire aux élèves et à promouvoir l’éducation auprès de leurs parents.

« Beaucoup de gens veulent se rendre utiles et faire autre chose que s’asseoir sur une plage et vivre des vacances passives », explique Jonathan Tam, directeur général de SchoolBOX. « Nous avons eu des gens de 7 à 87 ans, des familles entières, des groupes religieux. Nous voyons de plus en plus de gens qui veulent faire quelque chose de valable, qui a un impact. »

Il existe pourtant un argument de poids contre le volontourisme, ou du moins contre les organisations et les projets qui sont soit à but lucratif, soit mal pensés. Parmi les critiques — et elles sont nombreuses —, certaines sont évidentes, d’autres surprenantes.

Les communautés qui accueillent des volontouristes veulent souvent être d’excellents hôtes. Elles utilisent par conséquent leurs ressources limitées pour nourrir et loger leurs visiteurs, qui ignorent allègrement que, malgré leur bonne volonté, ils ne sont qu’une bouche de plus à nourrir. De même, des bénévoles enthousiastes qui n’ont jamais coupé de bois chez eux s’emparent d’un marteau avec enthousiasme et aident à construire des bâtiments qui ne répondent pas aux exigences techniques formulées pour les ouragans ou les tremblements de terre. Dans certains cas, ces efforts supplantent les travailleurs locaux qui auraient été payés et auraient fait un meilleur travail.

La critique la plus bouleversante a peut-être été formulée à l’encontre des volontouristes qui paient pour aider les orphelinats des pays en développement. Selon les rapports de World Vision, certains orphelinats haïtiens sont peuplés d’enfants qui ne sont pas du tout orphelins. Leurs parents ont plutôt été encouragés à placer leurs enfants dans l’institution, convaincus qu’ils seraient nourris et éduqués. L’établissement fait ensuite pression pour obtenir des financements internationaux et des volontouristes pour soutenir ce qui est en réalité une entreprise rentable. Cette fausse représentation mise à part, les Occidentaux prodiguent souvent de l’affection aux enfants pendant leur bref séjour avant leur départ, cimentant ainsi le cycle psychologique de l’abandon.

« Le volontourisme peut être vu comme une chance à saisir, mais il peut aussi avoir des conséquences imprévues », explique Ed Walzak, responsable national du bénévolat à Vision mondiale Canada. « Notre objectif est de favoriser le développement durable des communautés, donc si des bénévoles viennent travailler gratuitement, cela perturbe l’économie locale. Il existe aussi des programmes à but lucratif qui incitent les familles à placer leurs enfants en institution. Plutôt que de retirer les enfants d’une famille vivant dans la pauvreté, nous avons des programmes conçus pour améliorer la situation des familles et des communautés tout entières. »

M. Walzak ne rejette pas d’emblée la notion même du volontourisme. Il existe des moyens pour qu’il soit durable, principalement grâce à l’« expertariat », un autre néologisme pour décrire les personnes qui font profiter, à titre bénévole, de compétences ou de connaissances spéciales qui ne seraient pas accessibles aux pays en voie de développement, autrement.

« Une école, ce n’est pas qu’un édifice, mais tout un système d’éducateurs et de personnes qui enseignent aux éducateurs, ajoute-t-il. Donc, si vous êtes enseignant et qu’il existe un programme pour aider à renforcer les compétences des enseignants, les bases d’un développement durable sont jetées. »
 

l’initiative Shine the Light, à Nuevo Renacer en République dominicaine en janvier 2013

Ce voyage de l’initiative Shine the Light a eu lieu en janvier 2013 à Nuevo Renacer en République dominicaine. L’équipe a construit une maison à l’épreuve des ouragans pour ce couple. Au cours de ce voyage, elle a également tenu une clinique dentaire et médicale.
 

Briller de mille feux

Pour Vicki Asu, le volontarisme est une passion familiale qui s’est transformée en une mission personnelle.

En 2004, son cousin, Brent Wong, a lancé l’initiative Shine the Light. Jeune dentiste de Winnipeg, il venait de se porter volontaire pour une mission de prestation de soins dentaires au Mozambique et en Zambie. Ce voyage l’a inspiré. Depuis, il s’est rendu, dans le cadre de la Shine the Light Initiative, dans des communautés pauvres en République dominicaine et, sous la direction de collègues locaux, a construit des logements antisismiques, dirigé des cliniques dentaires et médicales et donné des cours d’anglais et de médecine.

« Ces voyages me permettent de revenir à l’essentiel », confie Mme Asu, qui vit à Winnipeg et a pris sa retraite fin 2019, alors qu’elle travaillait à Parcs Canada, aux services généraux pour la région des Prairies et du Nord. « Je réfléchis à l’ensemble arbitraire de circonstances qui m’ont valu d’être en bonne santé, d’avoir de bonnes possibilités d’éducation et d’occuper un emploi enrichissant. Le contraste saisissant avec les conditions de vie des communautés où nous essayons de faire une différence est gravé dans ma conscience. Mon expérience de bénévole me fait me sentir très reconnaissante et m’incite à me mettre au service de la communauté. »

Le travail — « Je déplace des décombres d’un endroit à l’autre, je soulève de lourds blocs et je mélange du ciment » — revêt autant d’importance pour elle que pour ceux qu’elle aide. Elle se souvient qu’une famille lui a expliqué que le fait que leur maison soit équipée d’une serrure signifiait que chaque adulte pouvait travailler. Il n'était plus nécessaire que quelqu’un reste à la maison pour se protéger des voleurs.

« Qu’est-ce que tout cela a signifié pour moi? Cela m’a vraiment interpellée. Cela m’a fait sortir de ma zone de confort. Cela a donné un contexte à ma carrière. J’étais très fière de servir les gens dans mon travail », ajoute-t-elle. « Je comprends maintenant comment l’impact de quelques individus peut avoir un énorme effet d’entraînement. »
 

Les conseils de professionnels de terrain en matière de volontourisme 

Choisissez votre aventure : Un grand nombre d’organisations proposent de tout : des expériences à long terme aux vacances plus immersives, explique Casey Bennett de Collette, une agence de voyages renommée qui est également un partenaire privilégié de l’Association. « Nous nous efforçons avant tout d’avoir un impact positif là où nous nous rendons, en établissant des partenariats durables. » Les voyages comprennent ce que Collette appelle des « temps forts », au cours desquels les clients visitent des entreprises sociales, des organisations à but non lucratif ou des organismes de conservation. « Nous leur offrons des expériences immersives tout en soutenant des organisations qui font du bon travail pour améliorer leur propre communauté. »

Faites vos recherches : « Observez la façon dont l’organisation qui vous intéresse interagit avec la communauté et dans quelle mesure sa démarche est durable », suggère Jonathan Tam. « Si les gens apportent des fournitures à distribuer, cela change la dynamique de la communauté et la rend dépendante. Cherchez une organisation qui collabore avec les habitants pour que ceux-ci évaluent leurs propres besoins. » Parmi les organismes réputés pouvant créer un pont entre candidats et expériences bénévoles, citons Moving Worlds, Projects Abroad, Madventurer et Global Volunteers.

Faites-vous des amis : Le bénévolat dans un pays en développement et le bénévolat au Canada sont deux expériences très différentes, explique Vicki Asu. « Si cela vous fait sortir de votre zone de confort, voyagez avec quelqu’un qui l’a déjà fait. »

Choisissez une organisation en tenant compte de vos compétences : Le volontourisme mobilise les milléniaux, mais de nombreuses organisations apprécient la grande expérience et les compétences des retraités, explique Jonathan Tam. « Vous pourriez soulever des barres d’armature, soutenir la communauté, jouer au soccer avec les enfants ou traduire. »

 

Cet article a été publié dans le numéro de de l’été 2020 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?