La cible : Les aînés

12 août 2019
La cible — Les aînés. Les escroqueries visant les aînés sont sophistiquées. Voici ce qu’il faut savoir pour les repérer.

 

Des demandes d’argent en provenance d’amoureux à l’autre bout du monde aux appels menaçants de prétendus agents du fisc, les tentatives de fraude visant les aînés sont aussi variées que trompeuses.

Malheureusement, ces dernières années, bon nombre de ces escroqueries ont fait mouche. Selon le Centre antifraude du Canada (CAFC), rien qu’en 2018 les dix pires fraudes signalées ont coûté presque 25 millions de dollars à ce segment de la population.

Mais contrairement à la croyance répandue et aux reportages des médias, les aînés ne sont pas les cibles de prédilection parce qu’ils sont des victimes faciles, observe Krista James, directrice nationale du Canadian Centre for Elder Law. Souvent, leurs points forts sont utilisés à leurs dépens. «Les arnaqueurs pensent que les aînés ont plus tendance à répondre aux courriels, qu’ils sont plus polis, voire plus responsables, et qu’ils sont les piliers de la famille. Donc, s’ils envoient un message frauduleux concernant la famille ou aux grands-parents, l’aîné voudra faire en sorte de défendre ou de protéger sa famille», explique-t-elle.

Malgré la sophistication de nombreuses arnaques visant les aînés canadiens, la bonne nouvelle est qu’il existe des moyens de les repérer — et que le simple fait de se tenir au courant des fraudes qui circulent est une étape essentielle de la protection contre les arnaqueurs.
 

Quelles sont les escroqueries qui visent les aînés?

Comme le remarque Kathy Majowski, présidente du Réseau canadien pour la prévention du mauvais traitement des aînés, les escroqueries s’inscrivent généralement dans trois grandes catégories : les fraudes commises par quelqu’un que la cible connaît, les fraudes perpétrées par des inconnus et les arnaques à l’encontre des consommateurs. Elles émanent d’organismes dont les pratiques commerciales sont à peine dans les limites de la loi.

En ce qui concerne le nombre de fraudes signalées par les aînés en 2018, les plaintes liées à l’extorsion venaient en tête de liste. Jessica Gunson, gestionnaire intérimaire du centre d’appel et du groupe de la réception du CAFC, explique que ces escroqueries contiennent une menace, comme le téléchargement d’un logiciel rançonneur sur l’ordinateur de quelqu’un.

Mais l’an dernier la majorité des plaintes dans cette catégorie concernaient des fraudeurs se faisant passer pour des employés de l’Agence du revenu du Canada (ARC) et laissant entendre au consommateur à l’autre bout du fil qu’il devait des impôts rétroactifs. «Le ton est menaçant et l’auteur de l’appel sousentend que, faute de payer immédiatement, la personne sera arrêtée, accusée et jetée en prison», poursuit Mme Gunson. Il n’est pas rare qu’on demande aux victimes de régler leurs comptes avec des cartes-cadeaux prépayées comme celles d’iTunes ou de Google Play, ou encore en cryptomonnaie comme les bitcoins. Évidemment, l’ARC ne procède pas de cette façon.

Les Canadiens âgés sont souvent victimes de l’omniprésente «arnaque des grandsparents», un secteur entier de la fraude visant expressément les aînés. Selon ce scénario, un fraudeur se faisant passer pour un membre de la famille de la victime potentielle, un petit-fils ou un neveu par exemple, appelle cette dernière et dit être en difficulté et avoir besoin d’argent immédiatement, et généralement dans le secret.

D’après Matt Cohen, directeur des projets de litige de Pro Bono Ontario, et sa collègue Jennifer Flores, avocate-conseil à l’interne, le service téléphonique d’aide juridique gratuite de l’organisme reçoit quotidiennement des appels d’aînés signalant des pratiques de porteà-porte malhonnêtes. Malgré l’instauration l’an dernier en Ontario d’une nouvelle loi destinée à empêcher la vente de porte-à-porte non sollicitée de certains produits et services, M. Cohen révèle que son organisme continue de recevoir des plaintes, soit de gens qui ont signé un contrat de location d’appareils ménagers en vertu du régime précédent, soit de personnes arnaquées après l’entrée en vigueur de l’interdiction, par des entreprises qui exploitent les lacunes de la nouvelle loi.

Les retombées financières peuvent être lourdes, affirment les experts. Il arrive que des aînés aient signé plusieurs contrats de 10 ans qui leur coûtent des centaines de dollars par mois en location d’appareils. Dans certains cas, les personnes qui cessent de payer les montants exigés en vertu d’un contrat voient leur titre de propriété grevé d’une sûreté visant à garantir l’exécution de l’obligation, ce qui peut nuire au renouvellement de leur prêt hypothécaire ou à la vente de leur bien immobilier. Selon Mme Flores, ces droits de sûreté sont notoirement difficiles à faire lever, parce qu’il faut généralement s’acquitter du montant et tenter de le recouvrer ultérieurement, ou déposer une demande devant un tribunal.

Également très haut sur la liste de 2018 en matière de pertes financières pour les aînés se situent les arnaques liées aux placements. Comme l’explique Doug Muir, directeur du service de l’application de la loi à la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, certains des signaux d’alarme d’une fraude en matière de placements comprennent les hauts rendements garantis à risque faible ou nul, le désir de déposer les fonds à l’étranger pour échapper aux impôts, ou encore une offre fondée sur de l’information privilégiée.

Même si les Canadiens âgés n’ont souvent aucune difficulté à reconnaître les arnaques promettant des rendements élevés à faible risque, certaines fraudes s’avèrent beaucoup plus difficiles à déceler selon M. Muir, notamment les occasions de placement suggérées, souvent involontairement, par une personne de confiance appartenant au réseau de connaissances de la victime potentielle. «Quel que soit l’investissement sous-jacent, si l’offre provient d’une personne de confiance, il faut s’en méfier, parce que c’est un scénario que nous rencontrons avec une fréquence alarmante», ajoute-t-il.

Malgré l’ampleur des escroqueries répertoriées ci-dessus, un tout autre type de fraude destinée à soutirer de l’argent aux aînés canadiens venait en tête de liste l’an dernier. Selon le CAFC, en 2018 les aînés ont signalé des pertes dépassant les 9 millions de dollars pour cause d’arnaques amoureuses — un chiffre supérieur de presque 6 millions de dollars aux pertes dues à tout autre type de fraude envers les aînés.

Comme l’explique Mme Gunson, les arnaques amoureuses débutent souvent en ligne, par exemple sur un site Web de rencontre, sont hautement personnalisées et peuvent durer des mois — aussi reviennent-elles cher à la victime, autant sur le plan émotionnel que financier. «Une fois le contact établi, l’escroc prétend toujours vivre dans votre région, mais travailler actuellement à l’étranger; c’est donc là le premier signe qu’il y a lieu de se méfier».

Les fraudeurs investissent du temps dans les messages et n’attendent généralement pas longtemps avant de faire d’ardentes déclarations amoureuses dans l’intention de gagner la confiance de la victime, précise-t-elle.

C’est alors que la première demande d’argent a lieu, ajoute-t-elle. L’auteur de la fraude invoque peut-être un retard de paye ou une situation l’obligeant à acheter un billet d’avion. La demande s’accompagne toujours d’une promesse de remboursement, et la victime y croit parce qu’elle est convaincue de «connaître» la personne. Dans certains cas, les victimes sont allées jusqu’à porter le montant maximal à leurs cartes de crédit, emprunter de l’argent à des amis ou des membres de leur famille, voire réhypothéquer leur maison.
 

Comment reconnaître la fraude et la prévenir

Selon Mme Gunson, la meilleure défense contre la fraude par marketing de masse est la prévention — c’est-à-dire la capacité de reconnaître et de rejeter toute arnaque à l’instant même où elle est présentée.

Pour ce qui est des pratiques exemplaires générales de sécurité, Mme James conseille fortement de ne pas répondre aux courriels ou messages textes provenant d’expéditeurs inconnus, et de ne jamais envoyer d’argent ou son numéro de carte de crédit à quelqu’un qu’on ne connaît pas.

Quant à elle, Mme Gunson recommande de garder ses comptes de médias sociaux privés, de ne pas inclure sa date de naissance dans son profil, de déchiqueter les documents de nature délicate, et de surveiller les transactions portées à son compte bancaire, ainsi que son courrier.

Bon nombre d’escroqueries personnalisées et sophistiquées présentent cependant des aspects qui jettent le doute sur leur légitimité. Ainsi, bien qu’Internet puisse être un bon lieu de rencontre, Mme Gunson suggère de considérer comme un signal d’alarme le refus de la personne de participer à un rendez-vous en personne dans un café local. «Si vous êtes en contact régulier avec quelqu’un qui, a) vous déclare ses sentiments amoureux très tôt, et b) vous demande de l’argent, mettez fin à la relation immédiatement», ajoute-t-elle.

Dans le domaine des fraudes fondées sur les menaces, les arnaqueurs profitent souvent de la tendance au réflexe. D’après Mme Gunson, si vous avez un doute, prenez du recul. Faites quelques recherches sur Google pour voir si d’autres personnes ont eu le même problème, ou renseignezvous sur les dernières tendances en matière d’escroqueries en consultant le site Web du CAFC ou Le Petit livre noir de la fraude du Bureau de la concurrence Canada.

«Les fraudeurs ne veulent pas que vous marquiez un temps d’arrêt pour parler à votre famille ou à vos voisins; ils ne veulent pas que vous nous appeliez, parce qu’ils savent que plus ils vous convaincront vite de leur envoyer l’argent ou de leur révéler vos renseignements personnels, plus ils y gagneront gros», observe-t-elle. Si quelque chose vous semble louche, fiez-vous à votre instinct. Discutez de vos doutes avec un ami de confiance ou un membre de votre famille, et demandez-lui son avis.

Du point de vue de Mme Flores, même les consommateurs qui ont demandé à une entreprise de venir chez eux en vue d’acheter un produit ou service devraient toujours lire attentivement les contrats en rapport aux appareils ménagers ou à l’obtention d’un nouveau service, car ils contiennent souvent du texte en petits caractères et des modalités lourdes d’obligations. Et, comme le rappelle Mme Majowski, les consommateurs ont droit à un délai de réflexion avant de s’engager à acheter un nouveau produit ou service. Ainsi, en Ontario et en Nouvelle-Écosse, les consommateurs peuvent résilier tout contrat signé à domicile dans les dix jours qui suivent sa signature sans avoir à justifier leur décision.

Pour ce qui est des investissements, M. Muir rappelle qu’il est crucial de comprendre non seulement le placement, mais aussi sa propre personnalité d’investisseur — à savoir, ses objectifs et sa tolérance au risque. Si vos questions restent sans réponse ou que le placement n’a pas de sens, ajoute-t-il, mieux vaut refuser d’y participer. Au bout du compte, consulter un conseiller en placement inscrit est le meilleur moyen de se protéger. «Un conseiller en placement inscrit a l’obligation d’en savoir long sur le produit, de bien connaître le client, de le renseigner sur les risques et de divulguer tout conflit, sans parler du fait qu’il doit être autorisé à vendre des valeurs mobilières».
 

Que faire si l’on est victime d’une arnaque

Malheureusement, pour diverses raisons allant de la honte à la peur de perdre son indépendance financière, à en croire le CAFC seulement environ cinq pour cent des fraudes sont signalées. Il est toutefois important que les victimes d’arnaque ne se sentent pas humiliées ou embarrassées — la triste réalité est que bon nombre des escrocs sont très doués. «La victime n’est pas stupide, ou nécessairement mal informée; elle est plutôt victime de son désir de ne voir que le bon côté de la personne qui profite d’elle», avance Mme Majowski.

En fait, selon Mme Gunson, signaler une fraude augmente les chances de recouvrer l’argent perdu, fournit des renseignements utiles aux autorités aux fins d’enquête et risque d’interrompre les activités de l’arnaqueur. Les tentatives de fraude — qu’il y ait eu ou non échange d’argent ou de renseignements personnels — devraient être signalées au Centre antifraude du Canada par téléphone ou en ligne. La plainte est confidentielle et donne lieu à l’ouverture d’un dossier complet contenant les coordonnées du consommateur, toute documentation existante, les reçus ou autres preuves de paiement, et les renseignements disponibles sur la personne avec qui la victime communiquait.

Mme Gunson recommande également aux personnes qui ont perdu de l’argent ou dont les renseignements personnels ont été volés de porter plainte auprès de la police de leur localité. Celle-ci ouvrira un dossier et sera mieux au courant des arnaques qui circulent dans son territoire de compétence. Enfin, elle conseille d’aviser les agences d’évaluation du crédit s’il y a eu brèche dans la protection des renseignements personnels.

Pour sa part, Mme Flores suggère à quiconque a signé un contrat et pense avoir été victime d’une pratique commerciale trompeuse de consulter un avocat pour obtenir son avis sur la résiliation potentielle du contrat ou de l’aide quant aux recours contre les agences de recouvrement, par exemple.

M. Muir affirme qu’il faut signaler toute arnaque liée aux placements, quel qu’en soit le montant, à l’organisme de réglementation des valeurs mobilières provincial ou territorial. «Nous avons certains pouvoirs nous permettant de bloquer des fonds, de geler des actifs, et peut-être même de recouvrer une part des fonds des investisseurs», précise-t-il.

Il est en outre important de parler de son expérience aux autres. En plus d’aider à répandre l’idée que la même chose peut arriver à n’importe qui, cela pourrait éviter à quelqu’un de votre connaissance d’être arnaqué à son tour. «Si nous arrivons à familiariser tous les Canadiens avec ces escroqueries avant qu’ils reçoivent l’appel téléphonique, le courriel, le message texte ou l’ardente déclaration amoureuse en ligne, si les personnes ciblées savent reconnaître ces fraudes, nous mettons fin pour de bon aux activités des fraudeurs», affirme Mme Gunson.

 

FCet article a été publié dans le numéro de Été 2019 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!