La technologie à la maison et à distance

09 décembre 2018
La patiente Jessie Maisby, posant pour une photo dans l'appartement SAM3 de l'Hôpital Élisabeth-Bruyère à Ottawa.
La patiente Jessie Maisby, posant pour une photo dans l'appartement SAM3 de l'Hôpital Élisabeth-Bruyère à Ottawa.
 

Ma grand-mère de 98 ans, Mimi,vit toujours sur sa ferme dans le sud de l’Ontario, et elle le fait de façon assez autonome. Vivre jusqu’à 98 ans est une anomalie. Pouvoir rester chez elle avec un minimum d’aide est exceptionnel.

Et cela ne sera pas aussi rare à mesure que la génération des bébés-boumeurs vieillira, prédisent les experts.

Mimi a mené une vie active, mange bien et fait même du yoga dans le salon. Elle adore aussi garder le contact avec ses amis et sa famille, avec une ligne terrestre et un téléphone cellulaire toujours à portée de la main. Chaque fois qu’un jeune médecin fait l’erreur de lui suggérer d’emménager en ville, au moins pendant l’hiver, elle le remercie de ses conseils et s’empresse de les ignorer.

Cela ne surprend pas la Dre Véronique French Merkley, médecin-chef du Service des soins aux aînés au programme de soins continus complexe de Bruyère, à Ottawa.

« La grande majorité de nos patients souhaitent rester chez eux le plus longtemps possible. Il s’agit en grande partie de maintenir leur qualité de vie et de conserver le plus d’autonomie et de dignité tout au long du processus de vieillissement. « Ce n’est pas toujours facile, car leurs propres enfants et leurs aidants naturels se retrouvent souvent dans une situation où ils travaillent encore et ont des enfants et des petits-enfants qui ont aussi besoin de leur aide », dit-elle.

Heureusement, des endroits comme l’Institut de recherche Bruyère (IRB) ont déjà évalué et prédit les besoins de notre population vieillissante partout au Canada. À l’aide de capteurs et de l’apprentissage machine — aussi connu sous le nom d’« intelligence artificielle » —, ces établissements expérimentent avec des environnements uniques et novateurs où des chercheurs spécialisés en sciences de la santé et en génie peuvent s’associer à des cliniciens, à des familles, à des patients et à des membres de l’industrie, pour trouver de nouvelles façons avec lesquelles les aînés pourront utiliser les technologies intelligentes pour vivre plus longtemps, en meilleure santé et avec une autonomie accrue, en espérant que cela soit dans leur propre foyer.

Les Drs Bruce Wallace, Frank Knoefel, Véronique French Merkley et Heidi Sveistrup, posant pour une photo à l'Hôpital Élisabeth-Bruyère à Ottawa.
Les Drs Bruce Wallace, Frank Knoefel, Véronique French Merkley et Heidi Sveistrup, posant pour une photo à l'Hôpital Élisabeth-Bruyère à Ottawa.

Pour la Dre French Merkley, cela signifie travailler avec la Dre Heidi Sveistrup, PDG de l’IRB, pour établir et maintenir des contacts pertinents entre le monde de la recherche et celui des soins aux patients. Souvent, c’est aussi simple que de configurer un téléphone intelligent pour enregistrer passivement les activités, envoyer des rappels pour les pilules et les repas, et rassurer les aînés que, s’ils redoutent d’être distraits, l’appareil mobile toujours pratique servira de première ligne de défense. Et, pour plusieurs, ce simple ajout au quotidien pourrait leur permettre de vivre dix ans ou plus en sécurité et heureux à la maison.

« Il s’agit de déterminer quelle technologie sera bien accueillie par les patients et utile aux cliniciens. Il faut aussi utiliser la technologie de manière personnalisée pour modifier et améliorer les aspects physiques, médicaux et sociaux du bien-être d’un patient. »

Le Dr Frank Knoefel, médecin au Programme de la mémoire de l’IRB, estime passionnant le paradoxe de travailler à Bruyère.

« Nous avons les plus vieux bâtiments de la ville, le plus vieil hôpital de la ville, certains des plus vieux patients de la ville et, pourtant, nous avons certaines des technologies les plus récentes », souligne-t-il, ajoutant qu’il adore son travail. « Les aînés constituent le groupe de personnes le plus intéressant qu’on puisse rencontrer. Leur vie est fascinante, ils ont fait des choses prodigieuses et ont été témoins de la transformation de ce pays. Je crois que la société leur est redevable, car ils ont bâti le Canada d’aujourd’hui. Nous devons le reconnaître et en être reconnaissants, et c’est une façon modeste, pour moi, de les aider et de les remercier pour ce qu’ils ont fait. »


« La grande majorité de nos patients souhaitent rester chez eux le plus longtemps possible. Il s’agit en grande partie de maintenir leur qualité de vie et de conserver le plus d’autonomie et de dignité tout au long du processus de vieillissement. »


Que se passe-t-il lorsqu’un simple outil aide-mémoire ne suffit pas? Les grandes entreprises en technologie étudient cela attentivement. Bruyère abrite un appartement d’une chambre à l’ambiance gaie à l’un de ses étages. Du nom de SAM3 (Sensors and Analytics for Monitoring Mobility and Memory), il est le fruit d’une collaboration entre l’IRB, l’Université Carleton et le Réseau de centres d’excellence (RCE) AGE-WELL. L’odeur d’omelette cuisinée plus tôt durant la journée illustre qu’il ne s’agit pas d’un laboratoire médical ordinaire. Cet espace de recherche entièrement équipé est utilisé par les cliniciens, les chercheurs et les entreprises pour démontrer et valider des technologies conçues pour aider les personnes âgées à bien vieillir dans leur propre résidence. Perfectionnées dans un laboratoire hors site, les technologies sont prêtes à être utilisées par les patients dès leur arrivée au SAM3 et, dans certains cas, à être installées à la maison.

Une visite guidée de SAM3 en compagnie de son directeur général, le Dr Bruce Wallace, commence dans le salon par une démonstration de la façon dont les chercheurs, en collaboration avec une entreprise de sécurité résidentielle, testent actuellement l’utilisation de détecteurs de mouvement partout dans l’appartement pour mesurer les activités quotidiennes d’un individu, tout en maintenant la vie privée du patient. Un jour, cette technologie passive pourrait offrir une solution à la situation courante d’une personne qui est tombée et ne peut se relever.
 

Mémoire

Les déclins cognitifs graduels passent souvent inaperçus. Rarement linéaires, ils présentent de bons et de mauvais jours, tout en pesant lourd sur les aînés. Ils peuvent parfois entraîner des problèmes beaucoup plus graves. En ayant des outils technologiques dans la maison pour connaître ses habitudes et ses oublis, puis configurer des rappels utiles, on peut considérablement réduire le stress de vivre de façon autonome.

À titre d’exemple, le Dr Wallace mentionne le fait de placer un simple capteur sur la porte du réfrigérateur, comme on l’a fait sur celui de la cuisine du SAM3 . Si la porte reste ouverte par accident, cela entraîne un message audio comme « Le réfrigérateur est ouvert, veuillez le fermer ». Ce capteur tout simple peut réduire le stress, et aussi réduire d’autres problèmes plus graves, comme une intoxication alimentaire.

Constamment à la recherche de moyens d’améliorer et d’étendre la technologie existante, la Dre Sveistrup aimerait que cette technologie (ou une autre du même type), qui peut déjà déterminer si une porte de réfrigérateur a été ouverte, soit adaptée, pour que les aidants naturels puissent savoir si un aîné a mangé et ce qu’il a mangé, comme les minibars modernes des hôtels qui facturent automatiquement les clients pour leur collation nocturne de noix macadamia. Ainsi, les membres de famille désignés pourraient recevoir un texto leur disant : « Votre mère est dans la maison, mais ne semble pas avoir dîné ou soupé. Voulez-vous l’appeler? »

Dans la chambre adjacente de l’appartement du SAM3 , les chercheurs ont trouvé une nouvelle façon d’aider les personnes âgées atteintes de démence pendant la nuit sans réveiller leurs aidants naturels, à l’aide d’un capteur sous le matelas du lit. Réagissant au mouvement d’une personne endormie qui se réveille et se lève, ce capteur peut activer des repères visuels comme allumer une lampe de chevet ou la lumière du couloir, voire d’éclairer un déambulateur pour permettre un déplacement plus sécuritaire vers la salle de bain. Si un aîné erre ailleurs dans la maison, un message automatisé et chaleureux, enregistré avec la voix d’un être cher, est déclenché pour le rediriger vers son lit.

Des capteurs supplémentaires peuvent être utilisés pour réveiller un aidant naturel endormi si une porte extérieure est ouverte. Ces technologies de détection et de diversion de l’« errance » sont testées depuis plus d’un an, et les chercheurs et les médecins en constatent les avantages pour les patients et les aidants naturels.

Le Dr Knoefel évoque le cas d’une femme âgée atteinte de démence vivant avec son fils qui travaillait parfois la nuit.

La technologie a été configurée pour que, si elle se levait la nuit, un message enregistré avec la voix du fils se déclenche : « Maman, tu es chez moi. Je suis au travail. Retourne te coucher. Je serai bientôt à la maison. » Le fils recevait également un message sur son téléphone lui indiquant que sa mère s’était levée mais était retournée au lit. Tous deux se sentaient rassurés et voulaient savoir comment installer ce système de façon permanente.
 

Santé Physique

La nécessité de consulter un médecin constitue un autre obstacle à l’autonomie des aînés. La chambre à coucher SAM3 sert également de site d’essai d’un système qui permettra aux professionnels de la santé de parler avec les patients tout en testant à distance leurs signes vitaux comme le poids, la température et la tension artérielle. Fait des plus intéressants, la plupart des articles se trouvent sur le marché : un ordinateur ou un téléphone avec la technologie Bluetooth, une gamme d’appareils faciles à utiliser disponibles dans les pharmacies et le téléviseur du patient.


En plus d’être optimale pour certains patients, l’utilisation d’une technologie intelligente pour s’occuper des aînés offre également la possibilité de faire économiser des milliards de dollars au système de santé.


Collecte De Données Pour Le Suivi Et La Recherche

En plus des avantages pratiques de ces technologies intelligentes, les médecins et les chercheurs comme le Dr Wallace cherchent également des méthodes de collecte de données à l’aide de systèmes similaires pour suivre l’évolution de la santé sur une longue période et à des fins de recherche. « Des capteurs de pression sous le matelas fournissent des images qui peuvent être enregistrées toute la nuit. Si les données peuvent être résumées efficacement par un ordinateur, les professionnels de la santé seront en mesure d’examiner les tendances pour voir si le patient peut avoir un sommeil agité, créant ainsi un risque accru de chute. Ou peut-être ne bouge-t-il pas assez, ce qui pourrait l’exposer à des plaies de lit. Les organismes de soins à domicile pourraient même utiliser les données pour établir efficacement les priorités des visites de leurs patients, pour voir en premier ceux qui ont eu une mauvaise nuit. »

Les capteurs de pression ont également été utilisés dans des études récentes pour surveiller la fréquence respiratoire ainsi que la distribution et la rétention des fluides dans le corps. Selon la Dre Sveistrup, « Le potentiel de ces appareils est illimité. »

Depuis deux ans, le Dr Knoefel et son équipe utilisent des jeux cognitifs spécialement conçus dans un environnement de recherche contrôlé, joués sur des tablettes par les patients du programme de jour de l’hôpital. Ces jeux aident les patients ayant des problèmes de mémoire et recueillent des données à l’aide d’un capteur qui aidera à surveiller indirectement la fonction cognitive au fil du temps. « Nous pouvons maintenant cibler une fonction cérébrale spécifique, l’intégrer à un jeu et mesurer la réponse. Avec le temps, nous pourrons suivre leurs capacités dans ce jeu. D’un rendez-vous à l’autre, un an plus tard, les gens peuvent passer d’une déficience cognitive légère à la démence. Les données recueillies à partir des parties jouées au fil du temps pourraient nous aider à déterminer si cela résulte d’un événement aigu ou d’un changement graduel. »
 

Sortir De La Maison

Même si l’équipe convient que le fait d’avoir une technologie intelligente dans les maisons des aînés aura un effet extrêmement positif, elle aimerait aussi qu’on s’en serve pour « aller jouer dehors ». Pour citer le Dr Knoefel, « Les personnes coincées à la maison deviennent déprimées, leur cognition diminue et leur état se détériore très rapidement ».

Même lorsque des aînés ont souvent pris des taxis, la crainte de se perdre ou de se faire voler les en dissuade souvent lorsqu’ils commencent à redouter de perdre leurs fonctions cognitives. Uber, et d’autres technologies de covoiturage, offrent aux patients et aux aidants naturels de nombreuses autres options pour sortir et se déplacer, ce qui est bon pour leur santé et leur bien-être. La Dre French Merkley s’attend à voir d’autres innovations dans la technologie des transports, qu’il s’agisse de véhicules automatisés ou d’applis qui permettraient aux personnes incapables de conduire d’avoir un meilleur contrôle sur leurs sorties.

Les médecins et les chercheurs de l’IRB étudient également les données recueillies pour mieux comprendre comment le processus de vieillissement nuit à la capacité de conduire d’une personne. Ce faisant, ils espèrent pouvoir aider les aînés à conserver leur permis plus longtemps, avec de la formation à des points charnières ou en équipant leur véhicule d’outils comme des capteurs et des caméras. La même technologie sera utile aux patients qui se rétablissent d’un AVC ou d’une blessure. Il est prévu de construire un simulateur de conduite à la fine pointe de la technologie, pour que les chercheurs étudient les habitudes de conduite des aînés en toute sécurité et en temps réel.
 

Économiser Sur Les Soins De Santé Et L’argent Des Contribuables

En plus d’être optimale pour certains patients, l’utilisation d’une technologie intelligente pour s’occuper des aînés offre également la possibilité de faire économiser des milliards de dollars au système de santé. Judicieusement déployée, la technologie réduira également le stress des aidants naturels et réduira le nombre de jours d’absence du travail.

Le Dr Knoefel estime que le recours aux appareils, comme ceux utilisés dans l’appartement de SAM3 , contribuera à dépister les problèmes médicaux plus tôt et à éviter les hospitalisations. « Nous savons qu’il en coûte 1 000 $ pour une consultation au service des urgences, 1 000 $ pour une nuit et 25 000 $ pour une opération. Et cela, seulement pour un Canadien. » Soulignant que de petits ajouts peu dispendieux aux soins d’un aîné peuvent faire toute la différence, la Dre French Merkley se dit d’accord. « Environ 10 % des admissions en soins de courte durée sont causées par des réactions indésirables aux médicaments. Le coût d’apposer un simple capteur sur un emballage alvéolé de médicaments est bien moins élevé et pourrait éventuellement réduire le nombre d’admissions et de visites aux urgences. Cela améliorerait non seulement la vie des patients, mais aussi la santé du système. »


« Il s’agit de déterminer quelle technologie sera bien accueillie par les patients et utile aux cliniciens. Il faut aussi utiliser la technologie de manière personnalisée pour modifier et améliorer les aspects physiques, médicaux et sociaux du bien-être d’un patient. »


Malgré les nombreuses façons dont la technologie intelligente peut améliorer la vie des aînés, de nombreuses familles et de nombreux aidants naturels craignent que les aînés dont ils s’occupent aient de la difficulté à accepter ou à apprendre à utiliser la technologie. Il est peut-être trop tard pour intégrer certaines de ces avancées récentes dans le monde de Mimi, d’autant plus qu’elle a récemment déclaré avoir « enfin débranché et démonté cette machine grise dans le coin ». Mais de nombreux autres appareils lui seraient sûrement très utiles. En commençant tôt et en utilisant les conseils suivants de la Dre French Merkley et de la Dre Sveistrup, un plus grand nombre de familles pourront, espérons-le, aider leurs aînés en accueillant la technologie intelligente comme un outil qui accroît leur autonomie et leur tranquillité d’esprit.

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'hiver 2018 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!