Objectif adaptation pour les Prairies

05 juillet 2023
Tempête à l'horizon.
Le changement climatique menace de nombreux aspects de la vie dans les Prairies, mais ses habitants ont une tradition d'innovation face aux urgences qui remonte à très longtemps.
 

Bien des choses croissent rapidement et de manière fertile dans les Prairies canadiennes, mais pas l’acceptation du changement climatique.

« Après le Nord, les Prairies sont une zone critique pour le changement climatique par rapport aux changements prévus pour le climat », affirme Jo-Ellen Parry, directrice de l’adaptation au Canada de l’International Institute for Sustainable Development (IISD) de Winnipeg. « Les mesures prises dans les Prairies et la planification sont toutefois moindres que ce qui se fait en Colombie-Britannique ou dans les provinces de l’Atlantique. Je crois que bien des raisons l’expliquent. »

Ces raisons comprennent le fait que les habitants des Prairies croient pouvoir gérer les défis climatiques sur une terre qui a toujours connu des conditions météorologiques extrêmes, explique Mme Parry.

« La température chute à -30 [Celsius] l’hiver et grimpe à +30 l’été, ce qui est une plage de températures assez vaste », mentionne-t-elle. La région « passe également naturellement d’une période de grande humidité à une période de grande sécheresse » et cette variation peut faire perdre de vue « le processus sous-jacent du réchauffement ».

Toutefois, l'acceptation du changement climatique augmente au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, car les sécheresses importantes et les « inondations qui ne sont censées se produire qu’une fois tous les 100 ans » deviennent plus fréquentes, et la fumée d’importants feux de forêt en Colombie- Britannique a été visible aussi loin à l’est qu’à Winnipeg.

Un exemple urgent de cette prise de conscience grandissante par rapport aux Prairies se trouve dans un rapport de 2020 du Ralliement national des Métis.

On y lit que « Les Métis vivant dans l’Ouest canadien sont particulièrement sensibles à l’incidence du changement climatique en raison de leur dépendance de la terre pour leur identité, leur culture, leurs moyens de subsistance et leurs économies qui dépendent des ressources. » Le rapport fait également allusion à une force particulière de la région, l’adaptabilité historique.

« Sur de nombreuses générations, les Métis ont trouvé des façons novatrices de vivre dans leur environnement particulier malgré une diminution de l’accès à la terre et aux eaux… Leurs connaissances peuvent soutenir des solutions d’adaptation développées pour des peuples autochtones et non autochtones. »

L’historique de résilience est fondamental à la vie dans les Prairies et encore plus dans le vaste secteur de l’agriculture.

« Plus de 80 % de toutes les terres agricoles du Canada se trouvent dans les provinces des Prairies », affirme David Sauchyn, professeur de géographie et de science de l’environnement, et directeur du centre Prairie Adaptation Research Collaborative à l’Université de Regina. « Il s’agit du secteur qui risque le plus d’être touché, mais aussi de celui qui peut le mieux s’y adapter. L’agriculture a été importée dans les Prairies il y a environ 140 ans, et d’importantes adaptations ont été requises pour qu’elle soit viable dans cette région. »

Cela peut sembler contraire à l’intuition, mais bien que les Prairies aient « un sol fantastique » pour la culture, elles ont également « un climat assez rigoureux » avec « une saison de croissance relativement courte » et « un déficit en eau permanent ». La neige est essentielle aux réserves d’eau. Historiquement, elle fond lentement au printemps et est absorbée dans le sol fraîchement dégelé.

« Sans la neige, nous aurions de sérieuses difficultés », soutient M. Sauchyn, « et le problème avec le changement climatique est que notre accumulation de neige finira par diminuer et disparaître si la température se réchauffe suffisamment. »

La neige qui tombe fond plus tôt, désormais, et n’est pas absorbée par le sol qui reste gelé. Suivant le changement de saison, on s’attend à ce que plus de pluie tombe lors d’événements météorologiques d’envergure croissante, puis s’écoule en restant à la surface du sol sec au lieu d’être absorbée par celui-ci. « En fait, vous pouvez avoir plus de précipitations, mais des conditions plus sèches. »

Les sécheresses s’aggravent, comme « l’horrible » été de 2021. Il souligne cependant que les pertes de récolte ont été inférieures que lors de la fameuse sécheresse des années 30, même si le temps a été plus sec en 2021.

David Sauchyn.

David Sauchyn, professeur de géographie et de science de l'environnement, reconstitue le climat à partir des anneaux de croissance des arbres. Ici, il a déterré un petit arbre pour l'examiner et l'a transporté sur son dos depuis le sentier.
 

« Pour atteindre le niveau deproductivité agricole dont nous bénéficions aujourd’hui, il a fallu beaucoup d’adaptations. Il y a eu tellement d’améliorations à la technologie, aux pratiques agricoles et à la génétique des cultures, entre autres, que l’agriculture est maintenant possible lors d’étés extrêmement secs », souligne-t-il.

Ces enjeux sont littéralement profondément enracinés. La majeure partie des recherches en cours examine les cultures viables à l’avenir dans les Prairies ainsi que la façon dont le colza, les légumineuses et, bien entendu, le blé s’en sortiront, sans oublier les nouvelles variétés ou cultures pouvant convenir davantage au nouveau climat.

De telles études bénéficient de la force innée de résultats plus rapides, grâce au travail effectué sur un cycle de culture annuel, mentionne M. Sauchyn. De plus, la majorité des fermes, qui sont familiales, n’ont pas à faire rapport à une société ni à en attendre les directives. « Le chef de la direction est habituellement dans la cuisine. »

Malgré ces forces, les défis sont colossaux et une coopération à tous les niveaux constitue un besoin urgent. Les données de M. Sauchyn indiquent que les niveaux d’eau dans les Prairies correspondent à ceux de l'an 888 après Jésus-Christ : « Il y a eu des sécheresses qui ont été beaucoup plus désastreuses que tout ce qui est arrivé dans les Prairies depuis que mes grands-parents et d’autres personnes s’y sont établis. Ces sécheresses vont revenir, mais cette fois, dans un climat plus chaud, une situation qui dépasse la capacité de chaque ferme de faire face au changement climatique et qui nécessite l’intervention de plus de paliers gouvernementaux. »
 

Protéger les gens

Afin de protéger les gens et les collectivités, ainsi que les écosystèmes et les organismes qui y vivent, les gouvernements provinciaux collaborent par l’intermédiaire de ClimateWest. Ils désirent également réduire les coûts gigantesques d’une intervention tardive.

« Une des choses qui retient notre attention », signale la directrice générale de ClimateWest Kerra Chomlak, établie à Leduc, en Alberta, « est le coût du changement climatique; les coûts que notre économie devra assumer et les raisons pour lesquelles nous désirons prendre des mesures précoces pour éviter davantage de coûts, car ces événements deviennent plus extrêmes et plus coûteux avec le temps. »

Elaine Fox, présidente du conseil d’administration de ClimateWest et représentante du gouvernement du Manitoba, indique que, en plus de l’agriculture, le changement climatique touche « l’industrie, les voies d’approvisionnement, la faune et la pêche, les membres de populations vulnérables qui vivent dans nos centres urbains, mais aussi les petites collectivités qui n’ont pas pu adapter leurs infrastructures à l’avance. »

À titre d’exemple, elle cite les feux de forêt, dont la fréquence et la gravité augmentent et qui progressent de régions éloignées du Nord à des régions plus peuplées du Sud. Comme une manchette de la CBC le présageait en 2019, les feux de forêt « surviennent plus tôt et plus tard, et sont moins prévisibles ».

« Vous pourriez ne pas pouvoir éviter le feu de forêt, mais peut-être éviter d’être évacué », déclare Mme Fox, qui mentionne des mesures potentielles, comme les programmes pour les incendies SMART ou la pratique autochtone traditionnelle des brûlages dirigés et des pratiques de gestion forestières améliorées dans l’ensemble pour survivre à une époque où les forêts sont plus sèches, où la foudre frappe de plus en plus souvent et où les grosses tempêtes surviennent plus fréquemment.

Les menaces à la forêt boréale qui s’étend dans les régions nordiques des trois provinces comprennent la propagation du dendroctone du pin ponderosa et l’apparition inhabituelle de chênes ou de frênes qui ne fournissent pas de nourriture à la faune indigène et entraînent des difficultés pour le secteur du sciage de résineux.

D’autres recherches sont en cours sur les défis climatiques auxquels la faune fait face, des célèbres ours polaires du Nord du Manitoba qui sont en difficulté en raison de la glace de mer qui s’amenuise aux calendriers de migration des oiseaux chanteurs et des insectes qu’ils mangent, dont le manque de concordance peut devenir désastreux.

Les poissons et la pêche courent aussi des risques. Par exemple, au lac Winnipeg, la pêche est florissante, car les eaux plus chaudes favorisent la croissance d’algues, une source de nutriments essentiels, jusqu’à ce qu’il y ait tellement d’algues que le taux d’oxygène diminue et que les poisons meurent. Selon Mme Fox, « il est difficile d’affirmer que cette situation est néfaste. Elle est toutefois en voie de le devenir. »
 

Défis liés aux infrastructures

Étant donné l’étendue du paysage des Prairies — à elle seule, la Saskatchewan compte environ 250 000 kilomètres de route, plus que toute autre province canadienne —, le transport constitue un enjeu primordial. C'est pourquoi diverses organisations étudient le type de véhicules que les gens conduisent, ainsi que le type et l'état de la surface des routes qu’ils empruntent.

« Dans notre province, nous n’avons pas les infrastructures nécessaires pour permettre aux gens de vivre sans compter sur un véhicule », explique Bethany Daman, directrice des communications de la Manitoba’s Climate Action Team (MCAT). « Nous n’avons pas de systèmes de transport intercommunautaires appropriés reliant des collectivités à l’extérieur de centres urbains et même à l’intérieur de ces derniers. »

La MCAT donne des conseils au gouvernement par rapport à « toutes les choses qui aident à réduire le nombre de véhicules sur la route », et sur la façon de s’assurer que les véhicules essentiels sont électriques. « Les infrastructures de recharge doivent être rehaussées considérablement, car elles sont un énorme obstacle pour les gens en ce moment », souligne Mme Daman.

De plus, il y a tout un système de routes d’hiver saisonnières qui est crucial pour la vie dans les régions nordiques et que les hivers plus chauds rendent inutilisable. Jo-Ellen Parry signale que l’IISD fait partie des organisations qui étudient « le manque de capacité des collectivités d’apporter l’équipement et les matériaux de construction lourds dont elles auront besoin [et] notre incapacité aiguë à fournir des quantités suffisantes de carburant. » Transporter des fournitures essentielles par avion augmenterait les coûts de manière exponentielle.

Comme pour beaucoup d’autres choses, l’état des routes de glace demeure imprévisible d’une année à l’autre. « La caractéristique du changement climatique est son imprévisibilité », souligne Mme Parry.

Une chose est sûre : les gens, les collectivités et les gouvernements doivent changer leur façon de faire.

De dire M. Sauchyn, « L’adaptation consiste à modifier nos technologies, nos politiques, nos programmes, nos infrastructures, notre planification urbaine et nos comportements en réponse au changement climatique actuel et futur. Fondamentalement, cela consiste à changer à peu près tout ce que nous faisons pour être moins vulnérables au changement climatique. »

La résilience des Prairies n’a jamais été aussi importante. Et, comme le rappelle Elaine Fox : « Nous avons très bien réussi à nous adapter au cours des 100 dernières années. »

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'été 2023 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?