De l’héroïsme en coulisse : Le traitement des prestations associées à la covid-19

04 juin 2020
Barbara Cretzman.
Barbara Cretzman a retrouvé un emploi qu’elle aimait un an à peine après avoir pris sa retraite, parce qu’elle croit au mandat du ministère et qu’elle savait qu’il pourrait utiliser son aide pour acheminer les versements de la Prestation canadienne d’urgence. Photo : Dave Chan
 

À peine un an après sa retraite, Barbara Cretzman a repris le travail à Emploi et Développement social Canada. Lorsque Sage l’a interviewée à la fin avril, elle travaillait de 17 à 18 heures par jour, les journées plus courtes ne durant « que 12 à 13 heures » et elle n’avait pas eu un seul jour de congé en cinq semaines.

Cette spécialiste de TI a déclaré avoir pleuré pendant quatre mois avant de prendre sa retraite en février 2019 parce qu’elle adorait son travail et ses collègues, même après 37 ans. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit maintenant de retour au travail dans l’un des ministères à l’épicentre de la crise, travaillant de 12 à 18 heures par jour, pour aider les Canadiens qui sont sans travail à cause de la crise de la COVID-19.

Mme Cretzman fait partie des nombreux fonctionnaires retraités qui se sont portés volontaires pour retourner travailler à Emploi et Développement social Canada (EDSC), pour soutenir le traitement des demandes au programme de Prestation canadienne d’urgence (PCU). Et elle travaillerait gratuitement si cela lui était permis.

« J’adore le mandat du ministère », déclare l’ancienne directrice générale des services aux utilisateurs finaux d’EDSC. « Donc quand mon [ancien sous-ministre adjoint] m’a appelée pour me demander si je pouvais donner un coup de main, j’ai répondu “bien sûr!”. J’aurais fait n’importe quoi. J’aime tellement travailler. »

Elle savait que la tâche de faire parvenir cette nouvelle prestation aux Canadiens qui en ont besoin serait « monumentale ». De plus, elle aime « les crises, car c’est là que les gens travaillent ensemble et réalisent de grandes choses ».

« Je savais que c’était une bonne chose à faire », a-t-elle déclaré.

En tant que spécialiste chevronnée des opérations dans le domaine des technologies de l’information (TI), elle s’est assurée que les employés soient en mesure de travailler de chez eux pour répondre aux appels des Canadiens et traiter leurs demandes.

« Je coordonne les choses en coulisses », dit-elle. Je veille à ce que les employés qui jouent un rôle essentiel dans la livraison des versements aux Canadiens puissent faire leur travail. »

Un ancien collègue de Mme Cretzman, Lorne Sundby, a également repris le travail, un peu plus de huit semaines après avoir pris sa retraite. Depuis son domicile d’Edmonton, il travaille de 10 à 12 heures par jour à la gestion des crises au sein du Service des TI d’EDSC.

« J’ai contacté mon ancien patron [au même moment] où il envisageait de m’appeler », explique M. Sundby. « Je savais ce qui se passait, j’ai longtemps été cadre supérieur dans ce service, et je comprends les politiques et les priorités. Il n’était pas difficile de comprendre qu’EDSC allait être le centre du branle-bas ».

Il est également payé, mais il a dit que la rémunération n’était pas vraiment un facteur. Durant l’appel de 30 minutes pour discuter de son retour, ils ont abordé la rémunération pendant une seconde, dit-il. Il ne touche pas son ancien salaire, et cela lui convient.

« Vous ne travaillez pas au même endroit pendant 35 ans sans avoir de bonnes raisons pour cela », souligne-t-il. Vous aimez le fait qu’on apprécie votre contribution ».

Il précise que ce n’est pas comme s’il sacrifiait des moments précieux de sa vie de retraité en ce moment.

« Que ferais-je sinon? Rendre ma femme cinglée, probablement », s’esclaffe-t-il. Je ne ferais qu’être dans les jambes des autres. Je ne ferais pas grand-chose de toute façon, et je pense que c’est une utilisation très judicieuse de mon temps. »

Ce genre d’engagement des employés et des anciens employés rend la ministre de l’Emploi Carla Qualtrough « des plus fières ». Elle se dit particulièrement heureuse que, grâce à ce dévouement, six millions de Canadiens ont ainsi commencé à recevoir des prestations d’un programme qui n’existait pas trois semaines et demie plus tôt.

« J’éprouve un respect formidable pour les fonctionnaires », a déclaré Mme Qualtrough, qui est ancienne avocate. « Je pense que c’est une noble cause. [Ils] s’inquiètent pour leurs concitoyens et ils veulent faire ce qui s’impose. Cela donne la chair de poule. Je suis fière de toute l’équipe et de toutes les personnes qui ont travaillé avec nous ».

Outre l’instauration de la nouvelle Prestation canadienne d’urgence (PCU), son ministère est responsable de l’assurance-emploi (AE), de Service Canada, du site Web Canada.ca et de la ligne d’information 1- 800-O-Canada, dont les lignes se sont allumées dès l’annonce des prestations prévues.

De bien des façons concrètes, nous sommes le visage du gouvernement pour la population canadienne, et nous avons donc su très tôt le rôle essentiel que jouerait EDSC dans la gestion de la crise de la santé publique, mais aussi de la crise post-santé publique, lorsque nous reviendrons à la normale », a déclaré Mme Qualtrough. « La tâche s’annonçait ardue dès le début, car nous avions aussi le souci d’assurer la sécurité des personnes qui allaient faire tout ce travail pour nous ».


« J’adore le mandat du ministère... Donc quand mon [ancien sous-ministre adjoint] m’a appelée pour me demander si je pouvais donner un coup de main, j’ai répondu “bien sûr!”. J’aurais fait n’importe quoi. J’aime tellement travailler. »


Dès la semaine du 9 mars, les fonctionnaires d’EDSC savaient que leur ministère serait chargé de verser les prestations aux personnes qui avaient perdu leur emploi à cause de la COVID-19, dont les demandes passaient initialement par le système de l’AE. Cette semaine-là, les volumes de demandes d’AE étaient normaux — de 7 000 à 9 000 demandes par jour. Le premier jour où les Canadiens ont pu demander les nouvelles prestations, le système a reçu 71 000 demandes. Un cadre des opérations a déclaré avoir « avalé de travers » devant ce volume et l’ampleur du défi qu’il devait relever. C’était presque deux fois plus que le précédent record de 38 000 demandes, établi lors de la crise financière mondiale en 2008. Le deuxième jour, 89 000 demandes supplémentaires ont été présentées.

À ce stade, l’équipe des opérations a commencé à se demander comment elle pourrait suivre le rythme. Une partie du système, par exemple pour les personnes touchant déjà de l’AE, a été automatisée, mais seulement 30 % environ des demandes auraient pu être traitées automatiquement. Pour les nouveaux demandeurs d’AE, la procédure est entièrement manuelle, avec des vérifications des antécédents professionnels et des dates d’emploi. Le délai standard entre la date de la demande et le moment où les Canadiens reçoivent leurs prestations est de 28 jours. Et, comme le rappelle la ministre, « le traitement des demandes d’AE est très lourd ».

À l’évidence, le traitement manuel n’allait pas être viable. Le ministère a donc supprimé les critères d’admissibilité existants, surtout lorsque des personnes n’ayant pas droit à l’AE étaient admises au programme.

Le ministère a rapidement fait appel à des prêts de service d’employés moins occupés en raison du coronavirus. Ainsi, 13 000 membres du personnel du bureau de Passeport Canada ont déménagé pour épauler le traitement des demandes. Outre cela, le ministère s’est tourné vers des retraités comme Mme Cretzman et M. Sundby, car il avait besoin des « technocerveaux » de l’équipe des TI, pour trouver comment « transformer le système existant en un mécanisme de réponse automatisée à ces millions de demandes qui affluaient », précise Mme Qaltrough.


« Que ferais-je sinon? Rendre ma femme cinglée, probablement. Je ne ferais qu’être dans les jambes des autres. Je ne ferais pas grand-chose de toute façon, et je pense que c’est une utilisation très judicieuse de mon temps. »


On a d’abord pensé à utiliser les numéros d’assurance sociale comme une méthode pour suivre les prestations, puis l’équipe des TI a suggéré d’administrer l’ensemble du programme avec le système en ligne de l’Agence du revenu du Canada (ARC). La participation de l’ARC a été des plus exemplaires, de dire Mme Qualtrough.

Son haut fonctionnaire a déclaré que si on lui avait demandé avant l’urgence de mettre en place une prestation entièrement nouvelle dans les rouages informatiques, il aurait mentionné un délai « vraiment optimiste » de 12 mois. Son équipe l’a fait en deux semaines.

« On a fait preuve d’une grande créativité pour canaliser les Canadiens admissibles et inadmissibles à l’AE dans le système interne, mais selon un mécanisme ressemblant à un guichet unique dans le système public », explique Mme Qualtrough. « Tous ces plans ont été mis en place de manière assez efficace. Nous nous sommes retroussé les manches et chaque jour, mes homologues d’EDSC, mes hauts fonctionnaires et moi-même faisons le point. Nous avons travaillé de manière très méthodique. »

Mme Qualtrough, qui fait des journées de 16 heures parce qu’elle s’isole dans sa circonscription de Vancouver et qui participe à ses réunions avec Ottawa à partir de 5 heures du matin, dans le fuseau horaire du Pacifique, a qualifié la tâche de redoutable, mais comportant des avantages inhérents.

« C’était un travail très sérieux, mais il était énergisant de constater que notre propre ministère pouvait en faire vraiment beaucoup pour aider les gens. En [quelques] semaines, nous avons changé le système deux ou trois fois pour l’améliorer le plus possible étant donné les circonstances. Si quelque chose ne fonctionne pas, vous l’abandonnez et essayez autre chose ».

 

Cet article a été publié dans le numéro de printemps 2020 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!