Notre prudence collective face à la COVID

05 juin 2023
Don McKay.
Après trois ans, la pandémie de la COVID a chamboulé nos vies et modifié, pour plusieurs d’entre nous, le regard que nous portons sur notre santé mentale. Photo : Vanica Louis
 

Three years into the pandemic, COVID has changed the way we live our lives and many of us are now more focused on our mental health. Photo: Vanica Louis//Après trois ans, la pandémie de la COVID a chamboulé nos vies et modifié, pour plusieurs d’entre nous, le regard que nous portons sur notre santé mentale. Photo : Vanica Louis

Pour Simon Sherry, vivre à l’ère d’une pandémie ressemble un peu à une peinture d’Edward Hopper.

Peintre américain réputé pour sa capacité à saisir l’isolement et la solitude de ses contemporains, Hopper a dessiné dans son tableau le plus célèbre, Nighthawks, trois hommes et une femme attablés de nuit au comptoir d’un café-restaurant. Bien qu’ils soient physiquement proches, il n’y a aucun rapport entre eux, aucun contact visuel, aucune interaction; la représentation parfaite de cette solitude parfois ressentie en présence d’autres personnes.

M. Sherry dresse un parallèle avec la société dans laquelle nous vivons, au vu des politiques de santé publique qui ont exhorté la population à maintenir une certaine distance physique pour se protéger et qui ont découragé, ce faisant, les comportements grégaires, comme converser ou chercher le contact avec d’autres personnes.

Psychologue clinicien et professeur au Département de psychologie et de neurosciences de l’Université Dalhousie, M. Sherry affirme que l’impact le plus durable et le plus notable de la pandémie sera son influence corrosive sur la santé mentale des Canadiens. Des travaux de recherche entrepris par l’Université de Toronto suggèrent qu’environ un adulte âgé sur huit a été frappé de dépression pour la première fois pendant la pandémie.

Les symptômes de l’anxiété, de la dépression et de la dépendance vont persister, mais M. Sherry explique que d’autres cicatrices, tout aussi graves, mais plus insidieuses, ont vu le jour.

Ce qui est le plus frappant, c’est que la personnalité des gens a changé. Se faire dire pendant si longtemps de ne pas se rassembler et de garder une distance d’au moins deux mètres entre nous a gravé ce comportement dans notre vie de tous les jours.

« [Maintenir une certaine distance] peut devenir une habitude qui finit par faire partie intégrante de notre personnalité », avance M. Sherry, enchaînant que cela peut affecter la distance que quelqu’un souhaite maintenir vis-à-vis des personnes qui l’entourent dans un magasin, ou leur manque d’enthousiasme pour discuter avec le voisin de l’autre côté de la clôture. « Je pense que, pour une génération, nous allons assister à un recalibrage plus ou moins permanent de la distance que nous attendons des gens. »

Pour Don McKay de Dartmouth, ces dernières années ont été difficiles.

« J’ai plus de 80 ans, donc ça a été assez stressant », rapporte M. McKay, membre de Retraités fédéraux depuis 2008. « La vigilance était vraiment de mise, sinon vous l’attrapiez, sans savoir si vous alliez survivre ou pas. Je suis vraiment en forme — je marche, je fais de l’exercice et je joue au golf —, mais là n’est pas la question. Lorsque les gens meurent tout autour de vous, impossible de dire si vous êtes le prochain sur la liste. »

M. McKay et son épouse ont recommencé à aller dans leur condo, en Floride, mais il continue de faire attention. Il évite les foules nombreuses et être le seul à porter un masque ne le dérange pas du tout.

« Le virus est encore là, je ne cesse jamais d’y penser. Je m'améliore, tout en demeurant à l’affût », plaisante cet ancien capitaine de la Garde côtière sur le fait d’être constamment aux aguets.

Joanne Craig raconte qu’elle et son mari invitent désormais rarement des gens dans leur maison de Winnipeg, et qu’ils ne rendent plus souvent visite à d’autres personnes.

« Je mène de plus en plus une vie de recluse », confie Mme Craig, qui a travaillé dans les télécommunications pour ce qui était à l’époque Communications Canada, avant de devenir membre de Retraités fédéraux en 1998. « Je ne suis pas antisociale, juste plus prudente et moins insouciante. »

Ses contacts plus limités réduisent aussi la fréquence de ses interactions avec ses amis et les membres de sa famille qui habitent dans d’autres villes.

Cela dit, elle ne se sent pas isolée pour autant. Après avoir fait du taï-chi dans un stationnement enneigé pendant les confinements, Mme Craig a été ravie que les cours reprennent, avec l’exigence de la distanciation et du port de masque, et de pouvoir de nouveau accéder à son gymnase, où le port du masque était aussi obligatoire.

Elle raconte qu’elle a été enchantée de retrouver ses amis et de faire de nouvelles connaissances, tout en constatant une forte baisse de la participation. De manière générale, les gens se sont davantage renfermés sur eux-mêmes.

« La pandémie a rendu quelques habitants du quartier un peu bizarres. En plus de devenir moins sociables, ils sont froids et solitaires », se désole Mme Craig. « Une personne avec qui nous avions l’habitude de discuter était plutôt bavarde et amicale. Maintenant, elle détourne le regard chaque fois que nous passons en voiture devant chez elle. Son mari est malade, mais elle n’a rien dit à personne, ce qui ne lui ressemble vraiment pas. Donc, nous ne savons pas du tout comment il va ou si nous pouvons faire quoi que ce soit pour l’aider. »

Mme Craig se montrait au départ plutôt réticente à l’idée d’assister à des spectacles de ballet ou à des concerts symphoniques, deux activités qu’elle affectionne particulièrement. Le fait d'être si près de « porteurs de virus potentiels » la mettait mal à l’aise. Mais elle a surmonté son appréhension et assiste désormais à ces spectacles, masque au visage, soulagée de constater que la majeure partie des gens sont attentifs aux personnes qui les entourent.

Joannie Craig.

Joanne Craig se montrait au départ réticente à l'idée de retourner à ses spectacles de ballet bien-aimés à Winnipeg. Mais elle a surmonté son appréhension et y assiste désormais, masque au visage. Photo : Rejean Brandt
 

M. Sherry remarque que la curiosité aussi en a pris un coup. Les gens ouverts sont curieux de nature et veulent découvrir de nouveaux endroits et essayer de nouvelles choses, mais cela aussi a été découragé pour contrer la pandémie de COVID-19.

« On nous a dit de rester à la maison et de restreindre nos activités », poursuit-il. « Après plusieurs années d’isolement et d’évitement, nous ne devrions pas être surpris de découvrir que cela a eu un impact durable sur la personnalité humaine. »

À l’Université McMaster, Jennifer Heisz, qui occupe la Chaire de recherche du Canada sur la santé mentale et le vieillissement, explique que s’en tenir à des activités avec lesquelles on se sent à l’aise au lieu d’explorer et de partir à l’aventure peut avoir un impact sur le cerveau.

« En répétant constamment les mêmes activités, nous n’entraînons pas vraiment notre cerveau à sortir des sentiers battus », précise-t-elle.

Cet état de fait est exacerbé par l’isolement social, la solitude et le manque d’activité physique, qui sont des facteurs de risque de démence et de déclin cognitif.

« Nous devons vraiment faire très attention, particulièrement à un âge avancé, où ces stimulations fondamentales jouent un rôle crucial pour notre santé et celle de notre cerveau », lance Mme Heisz.

Par contre, il ne faut pas grand-chose pour renverser la situation. Il suffit de s’entourer d’un petit cercle de personnes que l’on aime et auxquelles on peut faire confiance. Et si ces personnes vous encouragent à vivre plus sainement et à marcher davantage, c’est encore mieux.

Mme Heisz ajoute que les données qu’elle a recueillies pendant la pandémie indiquent que la raison pour laquelle les gens veulent faire de l’exercice a changé. La musculature et l’apparence physique importent désormais moins que le fait de se sentir bien dans sa peau et dans sa tête.

Le paradoxe était que les problèmes de santé mentale influaient souvent négativement sur la volonté de faire de l’exercice, les gens étant trop stressés et anxieux, et ayant trop peur de se retrouver près d’autres personnes dans des espaces communs comme une salle de sport.

« Mais la bonne nouvelle est que le simple fait d’aller marcher 10 minutes pour faire le tour du pâté de maisons suffit à réduire l’anxiété et le stress, et remonte le moral », affirme Mme Heisz.

L’Ottavienne Carolyn Cudmore, qui est devenue membre de Retraités fédéraux en 2023, raconte qu’elle s’est engagée ces dernières années à améliorer son état de santé et son bien-être.

Cet hiver, elle a commencé à prendre des leçons de patinage avec son mari, plusieurs fois par semaine, dans plusieurs patinoires de la ville avec des personnes de tous âges et origines.

« C’est très agréable. Lorsque nous sommes sur la glace, il y a beaucoup d’air frais et comme le plafond est très haut, personne n’est inquiet », se réjouit Mme Cudmore. « Tout le monde est détendu et personne ne se soucie du fait que nous sommes tous les deux débutants. C’est vraiment chouette et je pense que c’est un exutoire qui m’a beaucoup manqué. »

Retraitée depuis peu de son poste de directrice adjointe chez Affaires mondiales Canada, elle a resserré son cercle social pendant la pandémie pour mettre l’accent sur certaines relations plus profondes et plus positives. Les gens se montrant plus prudents qu’avant, l’échange de plaisanteries avec des étrangers lui manque un peu, mais elle a appris à mieux connaître ses voisins. Comme les foules la mettent mal à l’aise, son mari et elle ont adopté de nouveaux passe-temps et loisirs. Ils se font un point d’honneur de marcher 4 kilomètres tous les jours et de passer plus de temps dans la nature.

« Nous sommes plus reposés et, de manière générale, plus calmes et plus détendus », souligne Mme Cudmore, ce qui marque un contraste avec le stress et l’anxiété qui ont accompagné les débuts de la pandémie.

Les gens qui prennent soin d’eux-mêmes ont le sentiment de contrôler leur vie. Cela les réconforte en ces temps difficiles, estime Peter Liu, psychologue clinicien à Ottawa. En matière de santé mentale, il mise fortement sur la prévention et explique que les gens peuvent faire beaucoup pour s’aider eux-mêmes, notamment limiter leur exposition aux mauvaises nouvelles qui circulent à la télévision et sur les réseaux sociaux, être en contact régulier avec leurs amis et leur famille et s’adonner à de nouveaux passe-temps, surtout s’ils encouragent la créativité et l’expression personnelle.

C’est particulièrement important, maintenant que les mesures de santé publique ont été levées, car de nombreux aînés ont le sentiment que la société ne se préoccupe plus d'eux, en dépit de la menace existentielle que continue de présenter la COVID-19.

« Certains peuvent se sentir plus anxieux et plus à risque, car les gens ont baissé leur garde », prévient M. Liu.

M. Sherry abonde dans le même sens et ajoute que les aînés paient un tribut plus élevé comparativement aux autres groupes d’âge. Rien d'étonnant à ce qu'ils se montrent plus circonspects.

Selon M. Liu, un grand nombre d’aînés sont déterminés à prendre soin de leur propre santé. Ils ont intégré ce nouvel état de fait et ont adopté des mesures de protection, ce qui les aide à gérer la situation, sans stress.

Certains peuvent ressentir un certain embarras à l’idée d’appartenir à la minorité qui prend des précautions. En fait, ils devraient être fiers de prendre soin d’eux-mêmes.

« Dites-vous, "Je suis un survivant. Je vais surmonter ça et faire de mon mieux pour contrôler ce que je peux contrôler." »

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'été 2023 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?