Un rapport cinglant dénonce la culture toxique de la GRC

25 février 2021
Un rapport indépendant expose la culture toxique de la GRC et exige des changements majeurs.
Dans le cadre de ses travaux sur le règlement du recours collectif de Merlo-Davidson, Me Bastarache et son équipe ont mené plus de 640 entretiens avec des employées actuelles et anciennes de la GRC, brossant un tableau affligeant d’une culture toxique.
 

Veuillez noter que d’importantes mises à jour ont été apportées à cet article depuis sa première publication. La dernière mise à jour remonte au 25 février 2021.

Avertissement sur le contenu : Cet article et le rapport du juge Bastarache traitent de la question des agressions et du harcèlement sexuels et peuvent être préjudiciables ou déclencheurs pour certaines lectrices et certains lecteurs. Pour obtenir un soutien supplémentaire, veuillez contacter les centres de détresse locaux, par l’intermédiaire des Services de crise du Canada

 

Le 2 décembre 2020, l’ancien juge de la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, a présenté au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes ses conclusions sur le harcèlement sexuel au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), en rapport avec le règlement du recours collectif Merlo-Davidson. Le rapport, intitulé « Rêves brisés, vies brisées : Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC », souligne la gravité du harcèlement persistant et de la discrimination fondée sur le sexe dans la GRC.

Plus de 3 000 réclamations ont été reçues, et plus de 640 entrevues ont été menées. En tout, 2 304 réclamantes ont obtenu une indemnisation. Le mandat des évaluateurs était d’évaluer les demandes d’indemnisation présentées par des femmes ayant subi du harcèlement sexuel (y compris une agression sexuelle) et de la discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, alors qu’elles travaillaient pour la GRC.
 

Une culture toxique

Me Bastarache a constaté l’existence d’une culture toxique au sein de la GRC, et que la misogynie et l’homophobie y ont été tolérées pendant des décennies, à tous les grades et dans l’ensemble des provinces et territoires. Pour réussir, les membres de la GRC, ainsi que les agents et agentes, ont été contraints d’accepter qu’ils fonctionnent dans le contexte de cette culture toxique. Même si certaines parties en cause ont jeté le blâme sur des « brebis galeuses », le rapport a mis en évidence les origines internes systémiques de ce comportement.

« Le niveau de violence et d’agression sexuelle qui a été signalant était choquant. En effet, plus de 130 réclamantes ont révélé des agressions sexuelles avec pénétration. D’autres réclamantes ont décrit un environnement sexualisé sur les lieux de travail de la GRC, caractérisé par l’utilisation fréquente de mots grossiers et d’expressions très dégradantes évoquant le corps des femmes, des blagues sexuelles, des insinuations, des commentaires discriminatoires concernant les capacités des femmes et des attouchements sexuels non désirés. Le refus d’un soutien, ou la menace de refuser le soutien, sont particulièrement préoccupants dans le contexte d’un corps de police. De même, les femmes qui se sont identifiées comme étant LGBTQ2S+ ont également été soumises à de l’ostracisme, des commentaires péjoratifs, des agressions sexuelles et des révélations publiques sans leur consentement », a écrit Me Bastarache.

Les conséquences subies par les femmes travaillant à la GRC sont très variées. Des réclamantes ont déclaré qu’elles s’étaient senties démoralisées et que leur confiance en leurs collègues avait été ébranlée. Beaucoup ont souffert de graves blessures psychologiques comme le trouble de stress post-traumatique et un trouble dépressif majeur. Cela a nui à leurs relations avec leurs conjoints et leurs enfants. Elles ont souffert de crises de panique, de troubles alimentaires, de toxicomanie et de pensées suicidaires.

Selon le rapport, la GRC a eu des décennies pour régler ces problèmes. Pendant 30 ans, des rapports internes, des rapports externes et des litiges devant les tribunaux ont permis de faire la lumière sur ces problèmes, et les mesures prises pour les résoudre ont été insuffisantes.
 

Les recommandations

Le rapport comprend une cinquantaine de recommandations spécifiques. Au nombre de celles-ci, mentionnons : s’attaquer aux obstacles systémiques qui empêchent les femmes et les personnes LGBTQ2S+ de réussir dans la GRC; modifier les exigences de recrutement afin d’inclure un examen approfondi pour déterminer si les candidats ont fait preuve de tendances misogynes, homophobes ou racistes dans le passé; revoir l’approche de la formation, notamment en créant un mécanisme confidentiel permettant de signaler tout harcèlement ou comportement discriminatoire de la part d’un formateur et en accordant la formation de manière équitable et transparente en fonction du plan de carrière et du mérite d’une membre; supprimer les préjugés en matière de ressources humaines et de personnel; accorder un soutien approprié lors des congés de maternité et des congés parentaux; s’attaquer à la stigmatisation associée à la maladie mentale et à la demande d’aide psychologique; revoir la manière dont les promotions sont accordées pour lutter contre la discrimination; et prendre des mesures pour indemniser les victimes d’agressions sexuelles commises par des médecins de la GRC.

L’une des recommandations les plus fortes portait sur la résolution des problèmes liés au processus de réclamation et de sanctions disciplinaires.

« J’ai souvent entendu des réclamantes dire qu’elles n’utiliseraient jamais le processus de plainte contre le harcèlement, car il était horrible et difficile, et entraînait des représailles et peu de conséquences pour l’auteur du harcèlement », a écrit Me Bastarache. Des changements visant à rendre le processus plus confidentiel et indépendant sont essentiels et devraient inclure des vérifications ponctuelles des détachements ou des unités, pour s’assurer que les problèmes de harcèlement et de discrimination sont décelés sans qu’il soit nécessaire de déposer des plaintes individuelles. 

Les règlements financiers font partie de la reconnaissance de l’existence d’un problème, a souligné Me Bastarache, mais cela ne changera pas la culture qui existe.
 

Prochaines étapes

Me Bastarache a conclu en soulignant la nécessité d’un changement généralisé pour traiter les aspects les plus toxiques de la culture de la GRC, en suscitant l’engagement des employés à tous les niveaux à créer un lieu de travail plus inclusif et plus respectueux.

Il estime que le seul moyen d’obtenir un véritable changement viendra de pressions extérieures. Cela nécessitera un effort immense, car la plupart des individus qui font partie de la culture actuelle sont attachés au statu quo et ne voudront probablement pas apporter les changements nécessaires.

« Je crois [...] qu’il est temps de discuter de la nécessité d’apporter des changements fondamentaux à la GRC et à la police fédérale », a écrit Me Bastarache. Je suis d’avis qu’il est très peu probable que le changement de culture vienne de l’intérieur de la GRC. Cette dernière a eu de nombreuses années pour procéder, a fait l’objet de nombreux rapports et recommandations, et pourtant les comportements inacceptables continuent de se produire. Les femmes qui étaient en faveur d’un nouveau départ étaient d’avis qu’elles seraient mieux acceptées en tant que femmes au sein d’une organisation policière fédérale moderne. Je crois que le moment est venu pour le gouvernement du Canada de poser des questions difficiles sur la structure et la gouvernance des services de police fédérale. »

Note (25 février 2021) : La GRC a répondu au rapport Bastarache. La commissaire de la GRC Brenda Lucki a remercié le juge Bastarache de son rapport, a présenté des excuses aux femmes et a fait part de préoccupations et de regrets au sujet du traitement subi par les femmes employées par la GRC entre 1974 et 2017.

« Mais, malgré tous les rapports, les recommandations et les changements apportés depuis trente ans, ce comportement perdure », a déclaré Mme Lucki.

Mme Lucki a mentionné les mesures prises « pour moderniser et réformer la culture et les pratiques de gestion de la GRC », et que nombre de ces mesures se conforment aux recommandations formulées par M. Bastarache et plusieurs de ses prédécesseurs. De l’avis catégorique de M. Bastarache, elles ne constituent que des « mesures provisoires » et ne peuvent remplacer l’examen externe qu’il a recommandé et que la commissaire Lucki n’est pas allée jusqu’à approuver.

Les initiatives mentionnées par Mme Lucki sont énoncées dans Vision150, le plan stratégique de modernisation de la GRC, et comprennent des comités consultatifs sur le genre et le harcèlement; une stratégie sur l’équité, la diversité et l’inclusion; la mise sur pied d’un centre indépendant pour le règlement des plaintes de harcèlement, qui devrait être opérationnel d’ici la mi-2021; et l’utilisation efficace des lignes directrices de l’ACS+ dans les politiques et la prise de décision.  

Bien que certaines des mesures de Vision150 visent à réduire ou à éliminer les obstacles pour les femmes, ainsi que les personnes LGBTQ2S, noires, autochtones et de couleur au sein de la GRC, on ne sait pas si et comment ces mesures entraîneront le profond changement systémique que M. Bastarache et d’autres intervenants ont qualifié de crucial, ou un changement de la culture qui a permis à la toxicité d’être florissante pendant des décennies.

Le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, s’est engagé à réformer la GRC et a déclaré aux médias, à la fin de 2020, qu’il en aura « plus à dire dans les semaines à venir sur la direction que prendra la réforme ».

Lisez la réponse de la commissaire Brenda Lucki ici.