Les libéraux reprennent le pouvoir avec une minorité, lors d’une victoire électorale très différente de celle de 2015

22 octobre 2019
Vue de la Colline du Parlement.

 

À leur réveil ce matin, les Canadiennes et les Canadiens avaient un gouvernement libéral au pouvoir — le 13e gouvernement minoritaire du Canada. 

Les élections de 2019 devaient être une course dominée par les libéraux et les conservateurs, avec quatre autres partis et quelques candidats indépendants pour la course en tant qu’acteurs mineurs. Mais deux des partis considérés comme perdants détiennent l’équilibre du pouvoir.

Plus important encore, une nouvelle génération — les milléniaux — a surpassé les bébés-boumeurs à titre de bloc électoral le plus important. Cette évolution continuera probablement à influencer les programmes politiques à compter de maintenant.  

Tard lundi soir, les libéraux ont remporté 157 sièges au sein du prochain parlement, comparativement aux conservateurs qui en ont obtenu 121 sièges. Avec 32 sièges, le Bloc québécois se classait au troisième rang, tandis que le NPD se maintenait au statut de parti avec 24 sièges.

« En tant qu’organisation impartiale, nous sommes toujours prêts à travailler avec les gouvernements de toutes les allégeances, et je suis ravi de féliciter le premier ministre Trudeau et son équipe », a déclaré Jean-Guy Soulière, président de l’Association nationale des retraités fédéraux. « Nos manches sont déjà retroussées, et nous sommes prêts à continuer de défendre assidûment les besoins et les intérêts des retraités fédéraux, des vétérans, de leurs conjoints et conjointes, et des aînés canadiens. » 

Tenus pour quantité négligeable avant même le début de la campagne électorale, on s’attendait à ce que le NPD et le Bloc québécois se hissent au rang de concurrents. Mais seul le Bloc québécois, qui avait perdu son statut de parti en 2015 en remportant seulement deux sièges de moins que les 12 requis, a été à la hauteur des attentes tardives. 

Le NPD, dont on s’attendait à ce qu’il se rétablisse avec au moins 30 sièges, n’a pu maintenir son élan.

Après un robuste départ, les verts n’ont obtenu que le nombre décevant de trois sièges, à peine un de plus qu’au moment du déclenchement des élections le 11 septembre. Maxime Bernier a été défait et sa nouvelle création, le Parti populaire du Canada (PPC), a mordu la poussière.

L’ancienne libérale Jody Wilson-Raybould a gagné dans sa circonscription, à titre de seule députée indépendante élue. L’autre ancienne libérale et candidate indépendante, Jane Philpott, a été défaite.

Deux candidats éminents — Ralph Goodale du Parti libéral et Lisa Raitt du Parti conservateur — ont perdu leur siège.

Les conservateurs et les libéraux se livraient une lutte serrée dans les sondages d’opinion publique tout au long de la campagne, mais les libéraux ont presque toujours été en tête pour ce qui est du nombre de sièges prévu. Les conservateurs n’ont été en tête qu’une seule fois dans les sondages, lors de l’Action de grâces.

En fait, à un moment donné, au début de la campagne électorale, on estimait que les libéraux n’étaient plus qu’à un ou deux sièges du nombre nécessaire pour obtenir une victoire majoritaire, soit 170. 

Les libéraux devront se demander s’ils auraient remporté cette victoire majoritaire s’il n’y avait pas eu l’incident de Trudeau au visage grimé de brun à mi-campagne. 

De même, les conservateurs se demanderont si le résultat aurait pu être différent sans une litanie d’embarras au sujet de leur chef, comme la citoyenneté américaine surprise ou le curriculum vitæ embelli d’Andrew Scheer ou le rapport du Globe and Mail indiquant que les conservateurs avaient engagé une firme de consultants pour mener une campagne de médias sociaux secrète contre le PPC.

De plus, les conservateurs regretteront probablement d’avoir pratiquement ignoré la question du changement climatique, une décision qui a peut-être donné la victoire aux libéraux.

Quel que soit le résultat, il y a également des preuves que les électeurs avaient déjà porté un jugement sur les deux principaux partis dès le début de la campagne.

L’intention des électeurs dans les sondages est demeurée pratiquement inchangée tout au long de la campagne en ce qui concerne les deux principaux partis, à l’exception de quelques jours pendant lesquels les médias ont diffusé des reportages comme ceux sur le rapport du commissaire à l’éthique condamnant Trudeau pour sa façon de traiter le dossier SNC-Lavalin ou une vidéo déterrée en 2005 montrant le chef conservateur Andrew Scheer en train de dénigrer les mariages homosexuels ou les photos de Trudeau maquillé en brun. L’impact de ces reportages, aussi choquant a-t-il été, a été de courte durée.

Il était probablement inévitable que Justin Trudeau suive les traces de Pierre Trudeau en ne formant qu’un gouvernement minoritaire à sa première réélection, tout comme son père a été réduit à une minorité lors de son second mandat en 1972.

Comme ils l’avaient fait à plusieurs reprises à l’époque de Pierre Trudeau, les libéraux comptaient sur les électeurs du Québec pour les tirer d’affaire. Alors que cette fois-ci, le Québec a ajouté un autre chapitre à son histoire électorale volatile en ranimant le Bloc québécois.

Au bout du compte, les électeurs du Québec et de l’Ontario ont propulsé les libéraux au pouvoir.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, et le chef du NPD, Jagmeet Singh, ont tous deux obtenu de bons résultats dans les débats télévisés en français et en anglais, en particulier Singh, qui a réussi à répondre aux attentes minimales et à monter dans les sondages.

L’élégante réaction de Singh aux photos du visage maquillé de brun Trudeau et ses excellentes prestations lors des débats ont fait de lui le chef le plus authentique aux yeux de nombreux électeurs, en particulier parmi les milléniaux qui forment maintenant le plus important groupe démographique d’électeurs. On s’attendait à ce qu’il attire les électeurs milléniaux, comme Trudeau l’avait fait en 2015.

Cette fois, Trudeau a conservé suffisamment de suffrages des milléniaux pour maintenir Singh en dessous de 30 sièges.

Dorénavant, les milléniaux — qui représentent 9,7 millions de citoyens — exigeront probablement l’attention des partis politiques et de leurs programmes.

Tout comme les candidats comptent des gagnants et des perdants, ces élections ont connu des enjeux gagnants et perdants.

Le changement climatique, qui n’a suscité qu’une attention modeste en 2015, a cette fois-ci été l’un des principaux enjeux aux urnes. Et l’une des priorités perpétuelles des électeurs — les soins de santé — semble avoir reçu plus d’attention lors des dernières élections que durant celles-ci.

Tout dépend de la façon dont les enjeux s’inscrivent dans les programmes politiques.

Un sondage Ipsos réalisé au début d’octobre a révélé que 35 % des Canadiens plaçaient les soins de santé parmi les trois principaux enjeux électoraux, tandis que 29 % ont déclaré que le changement climatique figurait parmi leurs trois principaux enjeux. Mais le changement climatique a dominé les débats télévisés et la campagne électorale.

Le sondage Ipsos a également révélé deux problèmes, l’abordabilité et le coût de la vie ainsi que les impôts, ont tous deux été jugés prioritaires par 26 % des répondants. Pourtant, les conservateurs avaient mis ces deux questions en tête de leur programme électoral, qui mentionnait à peine les soins de santé et le changement climatique.

L’immigration représentait probablement l’enjeu le plus important du PPC. Mais, selon le même sondage, seulement 14 % des Canadiens estimaient qu’il s’agissait d’un enjeu important.

Lors de l’élection de 2015, les soins de santé pour les aînés avaient constitué un problème en veilleuse. Cette fois-ci, ils n’ont guère retenu l’attention, même si le NPD réclame toujours une stratégie nationale pour les aînés dans son programme électoral.

Cela a incité de nombreux aînés à se plaindre d’être le groupe démographique invisible de cette campagne, par opposition aux élections de 2015, alors que le Canada commençait à réaliser que, d’ici 2030, un quart de la population aura plus de 65 ans.

« Nos 176 000 membres ont été actifs au cours de cette élection dans toutes les circonscriptions fédérales, s’assurant que les candidats connaissent les enjeux les plus importants pour nous — la sécurité de la retraite, le mieux-être des vétérans, une stratégie nationale pour les aînés et l’assurance-médicaments », a souligné M. Soulière. « Notre message a été entendu haut et fort. »

Le programme électoral du Parti libéral prévoyait cette fois-ci une augmentation de 10 % de la Sécurité de la vieillesse pour les aînés à leur 75e anniversaire de naissance. Il augmentera également la prestation de survivant pour les aînés d’un montant pouvant atteindre 2 080 $ par année.

Les conservateurs ont promis plus d’argent pour les aînés à revenu faible et moyen. Ils disent qu’ils augmenteront de 1 000 $ le montant du crédit d’impôt en raison de l’âge à l’intention des aînés gagnant moins de 87 750 $. Ils promettent également de maintenir l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse à 65 ans.

Le NPD s’était engagé à créer une stratégie nationale pour les aînés. Il dit qu’il collaborera avec tous les ordres de gouvernement pour mettre les soins de santé à l’avant-plan, réduire l’isolement et combattre la pauvreté chez les aînés.

Le programme du Parti vert promettait une meilleure protection des pensions des Canadiens en cas de faillite d’entreprises. Le parti a dit qu’il modifierait également le Régime de pensions du Canada en doublant le taux cible de remplacement du revenu pour le porter à 50 % du revenu gagné pendant les années de travail.

« Au cours de cette campagne, des engagements clairs ont été pris envers les aînés canadiens, et la façon de s’assurer que ces promesses se traduisent par des politiques est d’avoir une voix dédiée aux aînés à la table du Cabinet », précise M. Soulière. « Je m’attends à ce que M. Trudeau nomme un ministre des aînés compétent et efficace dès le premier jour de son deuxième mandat. »

Cette fois-ci, le manque d’attention accordée aux soins aux aînés s’explique probablement en grande partie par le fait que l’assurance-médicaments occupe une place prépondérante au sein du portefeuille de la santé. Les libéraux ont promis de verser un acompte de 6 milliards de dollars aux provinces au cours des quatre prochaines années. Toutefois, Trudeau reconnaît qu’il faudra négocier avec les provinces avant que quelque chose ne se produise.

Les libéraux ont également l’intention de créer l’Agence canadienne des médicaments (et un bureau de transition de l’Agence canadienne des médicaments), pour évaluer l’efficacité des nouveaux médicaments et négocier un processus au nom des régimes d’assurance-médicaments du Canada afin d’élaborer une liste nationale de médicaments assurés. À l’heure actuelle, le Canada se classe au troisième rang mondial pour ce qui est des prix les plus élevés en matière de médicaments d’ordonnance, derrière la Suisse et les États-Unis.

Personne ne devrait s’attendre à une mise en place rapide d’un régime national d’assurance-médicaments parce que plusieurs provinces, notamment l’Ontario, s’y opposent. Lorsque le Canada a instauré le régime national d’assurance-maladie en 1968, seules deux provinces, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan, y participaient. Ce n’est qu’en 1972 que toutes les provinces y ont adhéré.

Le régime d’assurance-médicaments suivra probablement la même tendance.

Le changement climatique a été, et de loin, la question qui a suscité le plus de divisions au cours de cette élection. Et on se souviendra de la décision des conservateurs de ne pas tenir compte des électeurs soucieux du changement climatique comme d’une erreur monumentale, et probablement la principale raison pour laquelle ils n’ont pas réussi à faire tomber un parti libéral gravement affaibli par une année de scandales et de coups durs.

L’engagement des libéraux est axé sur la faisabilité à court terme et l’ambition à long terme. Ils ont promis d’atteindre l’objectif de 2030 et d’adopter une législation sur un objectif de neutralité carbone pour 2050 avec des réductions obligatoires tous les cinq ans.

Ils se sont également engagés à planter deux milliards d’arbres d’ici 2030, à investir 720 millions de dollars pour soutenir l’électrification des transports en commun et du transport, à réduire de moitié l’impôt sur les sociétés pour les entreprises de technologie à émissions de gaz à effet de serre nulles et à investir toutes les recettes fiscales découlant de l’oléoduc Trans Mountain dans des initiatives de technologies propres et écologiques. Les libéraux poursuivront également leur plan actuel visant à instaurer une norme en matière de carburant propre, un système national de crédits compensatoires et une refonte de la réglementation en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

La formule des libéraux se résume à trop peu pour certains et à trop pour d’autres Mais elle était assez centriste pour plaire à la plus grande partie de l’électorat, et elle le sera probablement pendant des années encore.

« Au cours des prochaines années, le Canada a beaucoup de pain sur la planche. Les enjeux auront des répercussions sur nous, nos enfants et nos petits-enfants, et même nos arrière-petits-enfants, et ce, pour les décennies à venir », a remarqué M. Soulière. « Ce mandat minoritaire pourrait être fragile, comme peuvent l’être parfois les gouvernements minoritaires, mais tous les partis doivent s’employer dès maintenant à créer une réalité durable pour le Canada. Et cette réalité inclura des retraites saines et sûres pour nos membres, ainsi que pour tous les Canadiens et les Canadiennes. »

Tant que ce gouvernement minoritaire durera, le changement climatique sera la question politique dominante.