Résoudre la crise des soins primaires

02 octobre 2023
Médecins poussant un patient dans un couloir.
Comme le Canada dépense des montants record en soins de santé depuis la fin de la pandémie, pourquoi les Canadiens ont-ils donc encore de la difficulté à les obtenir?
 

Le budget fédéral de 2023 du Canada a prévu un investissement de 198,3 milliards de dollars pour les provinces et territoires, dont 46,2 milliards de dollars de nouveaux fonds pour soutenir le système de santé public du pays. Ainsi, les dépenses sur la santé devaient atteindre 331 milliards de dollars en 2022, soit 8 563 dollars par citoyen canadien.

Les provinces dépensent également collectivement des montants plus élevés en soins de santé qu‘il y a quatre ans. Pourtant, de nombreux Canadiens ont encore du mal à renouveler une ordonnance et à obtenir une recommandation pour consulter un spécialiste, et doivent souvent attendre plusieurs semaines, voire des mois, pour des chirurgies essentielles. Les sondages montrent de manière continue que de nombreux Canadiens signalent avoir de la difficulté à consulter des spécialistes et obtenir des soins primaires, des soins d‘urgence, des interventions chirurgicales et des tests diagnostiques.

Avant la pandémie, il était déjà ardu d‘avoir des soins spécialisés et de base. Depuis, la situation s‘est aggravée à tous les points de vue. Un Canadien sur cinq, soit 6,5 millions de personnes, n‘a pas accès à un médecin de famille ou à une infirmière praticienne. Ces statistiques sont encore plus élevées dans les Maritimes, en Colombie-Britannique et au Québec, où un tiers de la population n‘a pas accès à un spécialiste en soins primaires.

« Les soins ont été retardés pendant la pandémie et nous commençons à constater une demande nettement plus élevée et plus de problèmes dans l‘ensemble du système de santé. Cependant, il n‘y a actuellement aucun médecin qui considère l‘argent comme le seul problème du système », déclare Lawrence Loh, médecin, directeur général et chef de la direction du Collège des médecins de famille du Canada. 

« L‘argent est essentiel, mais l‘endroit et la manière dont l‘argent est dépensé sont également extrêmement importants. »

L‘Enquête internationale de 2022 du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé auprès des médecins de soins primaires a révélé que 75 % des médecins estiment que « la qualité des soins reçus par les patients dans l‘ensemble du système de santé s‘est détériorée depuis mars 2020, lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé. » 

Les médecins de famille subissent souvent les conséquences d‘un système de santé défaillant. La moitié des médecins de famille canadiens ont également déclaré qu‘ils souffraientn d‘épuisement professionnel, tandis que 52 % des médecins de première ligne  ont mentionné qu‘ils allaient bientôt cesser de voir des patients. Beaucoup l‘ont déjà fait.

Les Canadiens apprécient leur système de santé. Certains soutiendraient qu‘accorder une plus grande place au secteur privé constitue une solution, mais ces convictions devraient être examinées à la lumière du compromis à l‘égard du principe des soins de santé universels et équitables pour tous les citoyens.

Peut-on réformer le système et le rendre plus efficace? M. Loh souligne que la nécessité de mieux financer les soins primaires est une solution évidente. Le Collège des médecins de famille du Canada rapporte que 70 % des services de soins de santé sont offerts par les cabinets de médecine familiale. Pourtant, les médecins canadiens ne reçoivent que 13,6 % du financement global des soins de santé publics.

« Traditionnellement, le financement des soins de santé va aux hôpitaux », explique M. Loh. « Mais si les gens recevaient de meilleurs soins dans leur collectivité, ils n‘auraient pas besoin de se rendre aussi souvent aux urgences et à l‘hôpital. »
 

Ce qui doit être fait

Selon des groupes de défense des intérêts médicaux comme l‘Association médicale canadienne (AMC) et le Collège des médecins de famille du Canada, la réponse réside dans la poursuite de réformes administratives et dans un meilleur soutien aux cabinets de médecine familiale. Ces groupes suggèrent de créer des équipes collaboratives interprofessionnelles avec des médecins généralistes (MG) et des infirmières praticiennes (IP) qui sont associées à des équipes de spécialistes de la santé, des diététistes, des infirmières autorisées, des physiothérapeutes et des spécialistes de la santé mentale. De plus, il faut se concentrer davantage sur la réduction du fardeau administratif des MG, en réduisant la nécessité de remplir des documents non essentiels.

« Nous comptons sur une seule personne pour réaliser des opérations complexes en matière de soins de santé, sans les ressources nécessaires pour le faire », déclare Katherine Smart, ancienne présidente de l‘AMC. « Nous avons besoin de soins plus intégrés dans le cadre desquels les MG travaillent en équipe et bénéficient du soutien d‘autres spécialistes de la santé. De meilleurs soins à domicile et de longue durée sont plus que nécessaires, ce qui bénéficierait également aux soins primaires. »

Les groupes de défense des intérêts soulignent également la nécessité de soutenir le permis d‘exercice national pour les médecins, ce qui leur permettrait de travailler dans une autre province ou un autre territoire. De plus, il faut réformer le système de rémunération des médecins pour qu‘ils soient payés de manière plus juste pour leur travail et le traitement de cas plus complexes. 

Parmi les préoccupations sur l‘accès au système de soins de santé, citons les opérations chirurgicales.

Par exemple, 937 000 (14 %) de moins ont été réalisées au Canada au cours des 31 premiers mois de la pandémie. Malgré la réduction des retards des opérations pour le cancer et les fractures de la hanche en particulier, les délais d‘attente pour les remplacements articulaires restent en moyenne plus élevés qu‘avant la pandémie. En 2022, seulement 50 % des patients ont subi une arthroplastie du genou dans un délai de six mois et seulement 60 % ont subi une arthroplastie de la hanche dans le délai d‘attente moyen de 182 jours.

« Actuellement, les chirurgiens travaillent de 80 à 100 heures par semaine et les hôpitaux fonctionnent au maximum de leur capacité dans tout le pays », déclare Sean Cleary, président de l‘Association canadienne des chirurgiens généraux, qui représente 2 500 membres au pays.

M. Cleary ajoute que de nombreuses provinces ont réduit le nombre de lits d‘hôpital au cours des années 1980 et 1990. À l‘époque, il s‘agissait probablement d‘une bonne décision. Cependant, la capacité du système n‘a pas suivi l‘évolution de la population canadienne vieillissante et le fait que de nombreux lits d‘hôpitaux sont maintenant occupés par des patients atteints de problèmes de santé complexes et chroniques. 

M. Cleary estime que les soins chirurgicaux ne peuvent pas être prodigués en vase clos et que l‘ensemble du système de soins de santé public doit être amélioré pour favoriser une meilleure collaboration entre les chirurgiens, les hôpitaux et les soins communautaires. 

Enfin, on néglige souvent la nécessité d‘augmenter le nombre d‘infirmières.  Selon un rapport de Statistique Canada de 2021, il y avait alors 32 295 postes réglementés d‘infirmières vacants et près de la moitié de ces postes sont restés vacants pendant au moins 90 jours. Un rapport de suivi en 2022 a révélé que près d‘une infirmière sur quatre (24,4 %) prévoyait de changer de travail ou de le quitter dans les trois prochaines années, en raison du stress au travail.

« Beaucoup d‘opérations chirurgicales ne sont pas effectuées au Canada à cause d‘un manque de personnel », explique Katherine Smart. « Le manque d‘infirmières joue un rôle important dans les pénuries de personnel chirurgical. »

Cependant, le paysage des soins de santé n‘est pas totalement sombre au Canada.

« Nous progressons », déclare Lawrence Loh. « De manière générale, on reconnaît qu‘il faut remettre le système sur pied. »

 

Cet article a publié dans le numéro du l'été 2022 du magazine Sage, dans notre rubrique « Bilan santé », qui porte sur des questions de santé et des politiques de santé d’actualité, sous l’optique des enjeux qui touchent les aînés canadiens. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?