Une double menace

27 septembre 2022
Radeaux de glace en train de fondre dans l’océan Arctique.
Les habitants du nord du Canada sont témoins des effets dévastateurs du changement climatique. D’ici 30 ans, la moitié des routes d’hiver ne seront plus viables.
 

Les conséquences du changement climatique qui minent le nord du Canada diffèrent d’une région à l’autre, à l’instar des gens qui vivent sur ces territoires. Ce qui les unit, c’est la gravité effrayante de ces conséquences.

Un simple coup d’œil sur le Grand Nord suffit à montrer l’ampleur du problème : Au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, la fonte du pergélisol est particulièrement prononcée dans les communautés côtières du Nunavut et du Nunavik, l’instabilité de la banquise bouleverse presque tous les aspects du quotidien. Ailleurs, la toundra se réchauffe et est désormais couverte d’aulnes qui la rendent moins propice aux caribous, lesquels constituent une source de nourriture vitale pour de nombreuses personnes. Enfin, dans le nord du Labrador, les conditions changeantes nuisent à la récolte traditionnelle de chicoutés, ou plaquebières, qui sont une ressource alimentaire importante pour les Inuits.

Partout, les infrastructures se soulèvent et s’affaissent, littéralement, à mesure que le sol bouge sous l’effet des températures extrêmes, ce qui menace les transports, l’approvisionnement en nourriture et même les maisons.

« Si le sud du Canada connaissait des taux d’insécurité alimentaire et domiciliaire similaires à ceux du nord, l’indignation serait bien plus vive », lance Dylan Clark, associé de recherche principal à l’Institut climatique du Canada et auteur d’un récent rapport intitulé Plein Nord : Faire face aux coûts des changements climatiques pour les infrastructures du Nord.

« Le rapport montre vraiment que le Nord fait face à une double menace : d’une part, cela fait des décennies que les infrastructures de base manquent cruellement de financements, de sorte que dans de nombreux cas,elles ne répondent pas aux besoins fondamentaux des communautés nordiques; d’autre part, le changement climatique affecte les infrastructures par la fonte du pergélisol, les changements de température et les conditions météorologiques extrêmes à un rythme beaucoup plus rapide (jusqu’à deux fois plus rapidement) dans le nord du Canada que dans le sud. Cela engendre des coûts et des risques vraiment importants dont les gens sont déjà témoins et qui vont augmenter rapidement. »

Certaines communautés sont déjà incapables de construire les routes de glace saisonnières qui leur sont essentielles pour l’accès et l’approvisionnement.

« Ce que nous montrons dans ce rapport, c’est que la moitié des routes d’hiver ne seront plus viables dans les 30 prochaines années, explique M. Clark. Cela prouve le besoin de s’adapter et de trouver de nouvelles façons d’acheminer la nourriture et les fournitures essentielles aux communautés. »

Les grands centres urbains ne sont pas épargnés. À Whitehorse, un glissement de terrain provoqué par la fonte des neiges, consécutif à des chutes de neige record pour la deuxième année d’affilée, a entraîné la fermeture de l’une des deux routes menant à la ville et l’érection de clôtures autour des maisons vulnérables. Quant à l’autre route menant à la ville, des feux de forêt la menaçaient suscitant l’incrédulité d’un résident de Whitehorse qui faisait état d’un « avertissement de chaleur extrême pour Whitehorse » sur Facebook. Début juillet, un porte-parole du Service de gestion des feux de forêt du Yukon a déclaré à la CBC que la chaleur extrême et la foudre provoquaient 20 nouveaux incendies par jour.

La situation est d’une cruelle ironie, car de nombreuses communautés sont menacées par de fortes inondations.

Certaines conséquences s’apparentent plutôt à de simples désagréments, comme le fait qu’un supermarché de Whitehorse limite la vente d’articles essentiels, mais la plupart d’entre elles sont graves, voire existentielles pour certaines communautés. Dans de nombreuses régions du Nord, les bâtiments, y compris les maisons, sont construits sur des pieux enfoncés dans le sol jusqu’au pergélisol. Que se passe-t-il lorsque cette base solide s’enfonce de plus en plus? Comment construire de nouveaux bâtiments sur un sol instable?

Wildfire in the Yukon Territory.

Incendie de forêt actif. Début juillet, un porte-parole du Service de gestion des feux de forêt du Yukon a déclaré à la CBC que la chaleur extrême et la foudre provoquaient 20 nouveaux incendies par jour.
 

De nombreux experts affirment que nous devons repenser la façon dont nous concevons, construisons et entretenons les routes... et les pistes d’atterrissage, comme celle d’Inuvik, endommagée par l’affaissement du pergélisol. Le géographe physique Robert Way affirme que le mode de conception et de construction des structures doit lui aussi changer, même si ces changements augmenteront inévitablement les coûts de construction des logements, souvent déjà prohibitifs.

« Plus on a recours à l’ingénierie, plus les coûts augmentent », lance M. Way, un spécialiste de la façon dont le changement climatique affecte les glaciers, la glace et le pergélisol, à l’Université Queen’s, en Ontario.

« Ce que nous avons constaté ces deux dernières décennies, mais qui s’est vraiment accéléré au cours des dix dernières années, c’est que le pergélisol, que l’on croyait relativement stable, a fondu dans de nombreuses régions », poursuit M. Way, qui est d’origine inuite.

Andrea Ann Carter constate les effets du changement climatique de ses propres yeux dans sa maison familiale  de Gjoa Haven, un hameau inuit d’environ 1 500 personnes situé sur l’île King William, au Nunavut.

« Même avec l’aide des aînés, il est difficile aujourd’hui de prédire quoi que ce soit », se désole Mme Carter, qui travaille avec de jeunes autochtones à Ottawa et retourne à Gjoa Haven quand elle le peut. « Le changement climatique affecte tout et tout le monde, y compris la chasse et l’enseignement. »

Même le stockage de la nourriture est en train de changer. Depuis peut-être des milliers d’années, sa communauté, qui subsiste essentiellement grâce à la chasse et à la pêche, stocke sa viande et d’autres denrées dans une fosse creusée dans le pergélisol.

« Dans notre communauté, nous avons un congélateur souterrain. Il a été fabriqué il y a bien longtemps par les premiers peuples inuits, mais à cause de la fonte du pergélisol, ils ne l’utilisent plus vraiment. Désormais, beaucoup de gens ont leur propre congélateur chez eux. »  Et ces appareils augmentent la demande en électricité et le coût de la vie.

De nombreuses communautés repensent leur mode de production d’électricité, comme Old Crow, au Yukon, où la Première nation des Gwitchin Vuntut a récemment construit une centrale solaire qui fournit désormais 24 % de l’électricité du hameau. D’autres communautés se tournent vers la production d’énergie éolienne ou microhydraulique.

Tous ces changements exercent une pression sur les traditions et la culture des autochtones du Nord. Ils affectent même les vestiges archéologiques inestimables et irremplaçables de ces traditions et cultures, ainsi que l’histoire naturelle de la flore, de la faune et de la terre elle-même. À mesure que les glaciers et le pergélisol fondent, de plus en plus d’artefacts ou de sites de valeur sont exposés, à un rythme si élevé que les archéologues, anthropologues, géographes et autres scientifiques ne peuvent pas suivre la cadence.

« Ils ne peuvent pas être partout tout le temps, et le risque de perdre des pans entiers de l’histoire, en particulier celle des premiers peuples, est considérable lorsque la fonte du pergélisol expose des artefacts potentiellement importants et précieux et que personne n’est là pour les voir », s’inquiète M. Way. Le problème est encore plus grave dans les zones côtières, où des artefacts ou des sites entiers peuvent être emportés par la mer en raison de l’érosion côtière qui s’accentue du fait de la disparition de la banquise.

Beaucoup de ces changements alarmants sont visibles, mais qu’en est-il des effets invisibles sur les habitants  du Nord?

« Il y a l’adaptation physique et structurelle, et il y a aussi l’adaptation humaine », remarque Ashlee Cunsolo, chercheuse dans le domaine du changement climatique et de la santé, et doyenne fondatrice de l’École d’études arctiques et subarctiques de l’Université Memorial, au Labrador.

« Qu’est-ce que ça coûte de devoir s’adapter lorsque les changements qui vous arrivent échappent à votre contrôle? Le fait d’avoir à modifier vos pratiques culturelles ou vos pratiques de chasse, des traditions que votre famille perpétue depuis des générations et que soudainement vous ne pouvez plus maintenir, ça veut dire quoi? »

« Les impacts humains sont énormes », observe Mme Cunsolo. « Pour les gens du Nord, la glace, c’est tout — votre vie, votre route, votre culture, votre communauté. Les Inuits sont le peuple de la banquise. C’est comme ça qu’on chasse, qu’on piège, qu’on s’approvisionne. »

Comme le souligne un résident inuit du Nunatsiavut, au Labrador, dans Lament of the Land, un documentaire réalisé par Mme Cunsolo, « Comment pouvons-nous être le peuple de la banquise s’il n’y a pas de banquise? »

Voici comment Mme Carter décrit la réalité à laquelle fait face sa famille inuite à Gjoa Haven.

« La glace fond beaucoup plus tôt, il est donc plus difficile pour les chasseurs de savoir quand partir et quand revenir, car c’est imprévisible de nos jours », affirme-t-elle. « Avant, on pouvait voyager sur la terre comme on le voulait, mais aujourd’hui, on doit être très prudent quand on se déplace. On n’a jamais connu cela auparavant, ce qui rend la situation très dangereuse. Cela affecte beaucoup les gens, dans différentes zones et de différentes façons. »


Faire sa part

Nous savons que les contributions personnelles ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan, mais il fait chaud au cœur de constater que nos membres s’efforcent de freiner le changement climatique.
 

L’électricité comme moteur

Marc Trépanier a voulu réduire sa dépendance au pétrole et s’est acheté une voiture électrique. Il a échangé sa Honda CRV, qu’il avait achetée en 2011, pour une KIA Nero EV EXplus 2022. Après remises, il a déboursé 54 000 $ pour disposer d’une KIA opérationnelle. Malgré cela, il estime qu’il économise entre 150 et 200 $ par mois. Il est désormais à la recherche d’une souffleuse à neige alimentée par une batterie.

Les sensations au volant sont très agréables, et il est heureux de ne pas avoir à acheter d’essence  ou à changer l’huile. Il n’a jamais  eu à utiliser une station de recharge en dehors de chez lui et la plus courte distance qu’il ait pu parcourir avec une seule charge était de  275 kilomètres (à -25 °C).

« Je n’ai aucun regret », dit M. Trépanier, qui été directeur général de la chaîne d’approvisionnement électronique de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. « J’ai tellement de plaisir à la conduire.  Et niveau vitesse, ça ne plaisante pas. Je n’ai jamais une voiture à essence qui roulait si vite. »
 

Un balado pour mettre l’accent sur les priorités

Après avoir pris sa retraite du Conseil des arts du Canada, Claude Schryer a décidé d’aider ses enfants et leur génération à « avoir un monde meilleur ».

Il a créé le balado conscient dans lequel il discute avec des artistes qui posent des gestes environnementaux dans leur démarche. Il a réalisé plus de 100 épisodes. Il est également

le fondateur et président de SCALE-LeSAUT, « une plateforme nationale visant à élaborer des stratégies, organiser des activités et mettre à profit le leadership du secteur culturel canadien face à l’urgence climatique. »

Il voyage également moins qu’avant et investit dans des actions vertes, mais estime que « nous devons réaliser des changements systémiques si nous voulons prendre la pleine mesure de la crise écologique. » Il ajoute qu’il s’agit d’un « problème existentiel » pour lequel les retraités comme lui se doivent d’agir.
 

Une consommation de gaz réduite de moitié

Mike Starr s’est débarrassé de sa cheminée au gaz et a installé une thermopompe qui consomme de l’électricité plutôt que du gaz. Comme il réside à Sechelt, en C.-B., il ne pensait pas avoir un jour besoin de la fonction de réfrigération de la pompe à chaleur. Mais pendant le dôme de chaleur qui  a frappé la C.-B. l’année dernière, elle  lui a permis de refroidir l’air ambiant  de 10 °C.

Il a également remplacé sa cuisinière au gaz par une cuisinière à induction.

« L’induction, c’est aussi rapide que le gaz », explique-t-il. « Elle s’arrête dès qu’on l’éteint, comme le gaz. »

 

This article appeared in the fall 2022 issue of our in-house magazine, Sage. While you’re here, why not download the full issue and peruse our back issues too?