Entrevue avec Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

15 septembre 2021
Yves-Francois Blanchet, chef du Bloc.
Selon le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, son parti est « très opposé à la création d’une discrimination entre les classes d’aînés. »
 

Stratégie pour les aîné·e·s et soins de longue durée

Le Bloc québécois a dit vouloir établir ses propres normes en matière de soins de longue durée. Quels types de normes allez-vous établir et seront-elles volontaires?

En fait, le peuple québécois ne veut pas établir ses propres normes. Le Bloc québécois veut que ce soit le gouvernement du Québec qui applique ces normes. Il en existe déjà, le gouvernement du Québec a déjà des normes en matière de soins de longue durée. Le problème c’est que le peuple québécois ne manque pas de normes; c’est les moyens, c’est les ressources qui manquent au gouvernement du Québec, des ressources qui sont prises en otage par le gouvernement fédéral, qui veut lui imposer ces normes à la place de celles des provinces, et toutes les provinces ont refusé ca.

En ce qui concerne le financement, les provinces devraient-elles rendre des comptes sur le financement fédéral qu’elles obtiennent pour établir de telles normes?

Assurément. La santé est une juridiction des provinces qui, historiquement, devait être assumée à 50 % par le gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral a constamment coupé dans ce financement. Tant et aussi bien qu’on est à 22 %. Le fait de revenir à 35 % ne donne pas le droit au gouvernement fédéral d’imposer ses propres normes.
 

Assurance-médicaments

Si le Canada mettait en place un programme d’assurance-médicaments offrant une couverture supérieure à la couverture des médicaments actuellement offerte aux personnes âgées au Québec, quel serait votre plan pour garantir que les citoyens du Québec obtiennent la meilleure offre possible du régime fédéral d’assurance-médicaments?

C’est très intéressant comme question, parce que ça découle d’une perception qui n’est pas la nôtre. D’abord, le gouvernement du Québec a déjà un régime d’assurance-médicaments. Il n’est pas parfait. Mais il existe. Le Canada dit « Hé, on va faire comme le Québec, on va avoir un régime universel d’assurance-médicaments ». Dans la mesure où le Québec a déjà son régime, la part québécoise du financement canadien devrait être remise au gouvernement du Québec. Et c’est la meilleure manière d’améliorer les chances que le Québec puisse bonifier son propre régime. Le fédéral n’a pas l’autorité d’obliger le Québec à faire ceci ou cela avec l’argent, mais en donnant davantage de moyens pour la santé ou l’assurance-médicaments, ou les garderies, ou quoi que ce soit d’autre, le gouvernement fédéral fait sa juste part dans les juridictions québécoises, sans imposer des normes qu’on n’est pas obligés d’accepter. Donc, une amélioration du financement avec notre part de ce qui sert pour ce programme-là, va être en bon moyen pour le Québec d’améliorer le service offert aux citoyens.

Votre parti a dit qu’il s’attendait à ce que le Québec soit entièrement indemnisé si un programme d’assurance-médicaments était mis en place. Est-ce toujours votre position?

C’est la position de toutes les juridictions québécoises. Chaque fois qu’une juridiction est une juridiction des provinces ou du Québec, on s’attend à ce que, si le gouvernement fédéral décide de créer un programme pancanadien, souvent inspiré des programmes québécois d’ailleurs, il nous donne notre part du financement pour qu’on fasse notre propre programme dans notre propre champ de compétence.

Comment aborderiez-vous, exactement, les faiblesses du programme d’assurance-médicaments du Québec, comment les pénuries fréquentes de médicaments essentiels (ruptures de stock)?

Je n’interviens pas dans les choix du gouvernement du Québec. Mon but consiste à améliorer les ressources qui sont à sa disposition, pas de lui dicter son comportement. Je suis certain qu’il a l’intention d’améliorer son propre système, et la mienne est de lui donner plus de moyens de le faire.

Quels sont vos plans précis pour faire face à la hausse des coûts des médicaments génériques au Québec et partout au Canada?

Non, ce n’est pas tout à fait la nuance que j’apporterais. En travaillant de façon librement concertée, le gouvernement fédéral est en mesure d’avoir une position de négociation par rapport aux [sociétés] pharmaceutiques qui peut s’avérer avantageuse. C’est un partenariat qui est, à la limite, commercial. Le Québec achète des médicaments, les autres provinces achètent des médicaments et, en travaillant de façon concertée, on a un meilleur rapport de force purement commercial pour avoir les meilleurs prix possible.

Voyez-vous des contradictions ou des chevauchements entre le régime québécois et un régime géré par le fédéral?

Évidemment, c’est la raison pour laquelle on souhaite que le fédéral ne vienne pas s’ingérer dans les juridictions du Québec lorsque ce sont des compétences québécoises, pour éviter les chevauchements qui sont coûteux, longs, lourds au niveau administratif, et qui sont bien davantage politiques que destinés à améliorer les services selon les normes. D’ailleurs, qui a décidé qu’une norme canadienne était meilleure qu’une norme québécoise? Qui a dit que le fédéral est plus compétent que le Québec en matière de santé ou d’assurance-médicaments, ou de quoi que ce soit d’autre? Être Québécois n’est pas un handicap. Être Québécois n’est pas une démonstration qu’on est moins compétents que quelqu’un d’autre. La preuve : c’est le fédéral qui copie des programmes québécois, pas le contraire.
 

Enjeux concernant les vétéran·e·s

Les Forces armées canadiennes doivent remettre leur culture en question, et nous avons vu au cours des derniers mois de nombreux témoignages concernant les traumatismes sexuels militaires, le harcèlement et leurs impacts. De nombreux systèmes concernant les militaires et les vétérans ne tiennent pas compte du genre, ce qui entraîne des biais systémiques, des lacunes dans la recherche, ainsi que des taux accrus de blessures et de maladies entraînant la libération des femmes pour des raisons médicales. Que fera votre parti pour s’assurer que les Forces canadiennes soient un milieu de travail sûr pour les femmes? Quels engagements pouvez-vous prendre envers les femmes vétéranes, qui constituent le segment de la clientèle d’Anciens Combattants Canada connaissant la croissance la plus rapide, mais qui sont mal desservies?

D’abord, faire un constat lucide et sans complaisance. Pour une femme, être dans l’armée canadienne impose des contraintes et des risques que les hommes ne subissent pas. Notamment, le risque par rapport aux hommes eux-mêmes. La culture militaire au Canada — comme à bien des endroits dans le monde — est une culture opaque. Une culture qui laisse peu entrer la vérification extérieure; la condition des pratiques internes. Une culture qu’il est très difficile de pénétrer, or ça va être nécessaire. Il y a eu trop de comportements inacceptables au sein des Forces canadiennes qui vont à l’encontre des valeurs à la fois du Québec et du Canada. Commençons par faire le constat. Deuxièmement, si on fait une enquête, elle doit avoir les coudées franches. Elle doit se faire rapidement, elle doit être absolument libre, elle doit avoir accès à toutes les informations de tout le monde, pour avoir un vrai vrai vrai vrai portrait, parce qu’il n’y a pas de solution sans vrai portrait. Évidemment, dans l’intervalle, et c’est ce que nous disons, les gens qui ont été impliqués dans les situations alléguées dans le contexte très particulier de l’armée devraient témoigner auprès des centres de pouvoir à l’intérieur de l’armée et ça monte jusqu’au ministre.

Comment la transition ou la libération de l’armée sera-t-elle améliorée sous votre gouverne? Comment pouvez-vous simplifier les longs processus bureaucratiques pour les vétérans qui demandent des prestations, attendent des décisions et passent à la vie civile?

Je pense qu’on peut améliorer l’accompagnement des gens qui quitte le cadre, peut-être à la fois strict et rassurant, des Forces armées canadiennes lorsqu’ils retournent à la vie civile. Et ça, ça inclut notamment un encadrement beaucoup plus important, parce que c’est un enjeu en matière de santé mentale, en matière de détresse psychologique, en matière d’anxiété pour les gens qui retombent dans un environnement civil très différent de celui qu’ils ont connu avec, en effet, une lourde bureaucratie. Donc, des accompagnateurs avec une palette de compétences financées à même les ressources de l’armée, en étant indépendants et non pas sous les ordres de l’armée, me semble une approche intéressante à explorer. Je n’irais pas jusqu’à l’affirmer, mais je l’explorerais certainement.

Les libéraux se sont engagés à éliminer la clause concernant le mariage après l’âge de 60 ans, mais jusqu’à présent, les budgets n’ont offert que de l’argent pour résoudre le problème, sans stratégie spécifique pour aborder la législation qui crée le problème. Que ferez-vous avec ce dossier?

Je vous avoue candidement que je ne connais pas les contraintes associées aux mariages après l’âge de 60 ans. Ce dossier-là est, j’imagine, très spécifique à l’armée.

Je n’ai aucune hésitation, sans même fouiller davantage, à vous dire que les unions de fait doivent avoir des privilèges comparables, parce que les obligations des conjoints sont les mêmes, les responsabilités et même l’attachement des conjoints sont les mêmes.
 

Pensions

Concernant la Sécurité de la vieillesse (SV), votre parti a proposé une augmentation de 10 % pour toutes les personnes âgées de plus de 65 ans. Est-ce toujours votre position?

Non, non, non, non. Le 10 %, c’est les libéraux; ce n’est pas nous. Nous, c’est 110 $ par mois, indexé par rapport au moment où nous avons fait cette proposition. Autrement dit, nous avons proposé d’augmenter toutes les personnes de 65 et plus, de 110 $ par mois, dès 2019. Donc, nous sommes à 110 $ par mois plus indexation depuis. C’est toujours ça la proposition, sans aucune discrimination basée sur l’âge. Donc, pas de différence entre les [personnes de] 65 et de 75 ans. C’est notre proposition et elle n’a pas changé. Nous sommes farouchement opposés, d’une part, à une somme de 10 %, qui est très insuffisante — franchement ça fait 60 dollars par mois, et nous sommes aussi très opposés à la création d’une discrimination entre les classes d’aînés. Je n’en reviens pas qu’un gouvernement qui se targue d’être contre toute forme de discrimination crée lui-même une discrimination à l’égard des aînés en établissant deux classes. Ce n’est pas acceptable. Vraiment pas acceptable. C’est probablement le sujet que le Bloc québécois a abordé le plus souvent depuis l’élection de 2019.

Comme vous l’avez promis auparavant, est-ce que votre parti s’engagera à conserver les régimes de retraite faisant partie de la rémunération des fonctionnaires fédéraux, des membres des FAC et de la GRC, dont les prestations sont déterminées et qui sont bien gérés?

On est contre la modification unilatérale des règles qui ont été établies et librement acceptées. Si les gens qui ont été embauchés par l’état fédéral l’ont été avec des règles quant à leur retraite, on n’a pas le droit de changer les règles de façon unilatérale au moment de la retraite. C’est inacceptable.

Quelles autres mesures allez-vous mettre en place pour améliorer la sécurité de la retraite d’un plus grand nombre de Canadiens? Souhaitez-vous ajouter quelque chose à cette entrevue?

On a mis de l’avant y a plusieurs éléments, ça va de l’inscription automatique rétroactive pour le Supplément de revenu garanti à Internet haute vitesse dans les régions comme service essentiel, parce que ça brise l’isolement des aînés. La pandémie a fait beaucoup plus de mal aux aînés qu’à n’importe qui d’autre. D’abord parce qu’au niveau de la pure santé physique, ils étaient beaucoup plus vulnérables. Ensuite, l’isolement a créé des problèmes de santé mentale et de détresse psychologique, et une perte importante du pouvoir d’achat, compte tenu de l’augmentation du coût de la vie. Nous avons énormément lutté pour cela, sans obtenir tout le succès que nous aurions voulu, notamment avec Internet haute vitesse pour briser l’isolement, qui est un outil pour accélérer ce processus-là. Et il y a évidemment les transferts fédéraux en santé, qui aide singulièrement les personnes retraitées et c’est là que le système de santé va devoir orienter ses efforts futurs. Donc, tout ça considéré, on a une offre assez globale pour les aînés.

Merci encore d’avoir pris le temps de présenter vos idées et vos politiques électorales à nos membres.

C’est moi qui vous remercie beaucoup, Madame. Au plaisir.